L'équipe de Jean-Marc
Ayrault semble mal armée pour affronter une nouvelle année de crise. À l’heure
d’affronter l’annus horribilis 2013, la hausse du chômage et le risque de tensions
sociales, le gouvernement cherche toujours son unité. Certains ministres
régaliens sont en conflit larvé avec Matignon, d’autres fragilisés par leur
situation personnelle. Rares sont les personnalités capables de défendre
l’ensemble.
"Nous
n’avons que des tête-à-tête avec Ayrault. Il n’y a pas de travail collectif,
pas d’émulation", déplore un ministre de premier plan. Des séminaires ont
pourtant eu lieu, par exemple sur la compétitivité, les dépenses de l’État ou
la pauvreté. Les décisions étant prises avant, certains avouent y avoir trouvé
le temps long. "Il n’y a pas d’ambiance", entend-on souvent.
Pis, au
lieu d’être résolus, des conflits s’enlisent, comme avec Arnaud Montebourg. Quelques
ministres reprochent au chef du gouvernement et à son cabinet un "caporalisme"
qui contribuerait davantage à durcir le climat qu’à souder une équipe. Cette semaine,
le directeur de cabinet de Marisol Touraine et celui de Vincent Peillon ont été
priés de partir. Auparavant, Marylise Lebranchu avait, elle aussi, dû se
séparer de son principal collaborateur. Revue des forces et faiblesses d’un
gouvernement pléthorique.
LES
FRAGILES
Jérôme Cahuzac. Tout avait bien commencé pour
l’ancien chirurgien et boxeur confirmé. À un poste ingrat, celui du Budget,
Jérôme Cahuzac a mis en musique la « rigueur de gauche » sans
trembler et s’est imposé dans l’Hémicycle comme le meilleur orateur du
gouvernement face à la droite, les députés PS le gratifiant de standing ovations. L’affaire
de son compte en Suisse présumé, selon les accusations de Mediapart, le place
sur un siège éjectable tant que l’établissement helvétique UBS n’aura pas fait
la lumière sur l’existence – ou non – du compte occulte.
Christiane Taubira. Elle est vite devenue la tête de
Turc de la droite en annonçant la suppression des tribunaux correctionnels pour
mineurs. La ministre de la Justice doit porter l’an prochain au Parlement le
projet de loi sur le mariage pour tous. Victime d’un malaise en août, elle est
l’objet d’une rumeur qui la donne partante du gouvernement. Ses relations avec
son directeur de cabinet, Christian Vigouroux, semblent s’être dégradées. Elle
serait nommée au Conseil constitutionnel, où trois sièges sont renouvelables en
mars.
Pierre Moscovici. Il est l’un des ministres les plus
qualifiés du gouvernement, un pédagogue hors pair et un fervent militant des
réformes. Mais l’ancien directeur de campagne de François Hollande a vu
l’Élysée accaparer les principales décisions de politique économique tout en
lui reprochant parfois sa prudence. En outre, les proches du Président
plaident pour son élection à la présidence de l’Eurogroupe, alors qu’il assure
ne pas vouloir du poste.
Arnaud Montebourg. Le cas du ministre du Redressement
productif est le plus emblématique. Ayrault l’a désavoué devant les
caméras à l’issue des négociations avec Mittal, Montebourg s’est permis de
tancer le Premier ministre en l’invitant à être "plus ferme" face à
l’industriel indien. L’hostilité est consommée. Résultat, le chantre de la
nationalisation est devenu un héros pour les classes populaires, qui se défient
de ses chefs. Sa cote personnelle grimpe. Mais elle n’est que personnelle.
Marisol Touraine. La ministre des Affaires sociales
et de la Santé mène à bien la rigueur à la Sécurité sociale, elle a bouclé un
accord sur les dépassements d’honoraires avant d’endiguer la colère des internes.
Or elle se voit reprocher son travail en liaison directe avec l’Élysée et ses
critiques sur Jean- Marc Ayrault publiées dans la presse. Matignon l’a sommée
de se séparer de son directeur de cabinet, Jean-Luc Névache, arguant
l’incompétence. Il était pourtant très apprécié.
Cécile Duflot. La ministre verte, en charge du
Logement, a déploré dès l’été un manque de soutien de Jean-Marc Ayrault et le
diktat budgétaire de Bercy. Plus récemment, les accrochages se sont multipliés
avec Manuel Valls. "Les forces de l’ordre sont à
Notre-Dame-des-Landes", lui annonce le ministre de l’Intérieur droit dans
les yeux. "Vas-y, tue un ou deux manifestants pour montrer que tu es
fort", a-t-elle rétorqué. Un autre jour, elle comprend que Valls a eu
connaissance du vol de son portable. "Comment le sais-tu? Je suis sur
écoute aussi?", lui demande-t-elle.
Vincent Peillon. Son directeur de cabinet est le
dernier en date à avoir été débarqué du gouvernement. Récemment, le ministre de
l’Éducation nationale s’est avancé un peu vite sur une augmentation du
traitement des profs. Dès son arrivée, il avait annoncé, avant Matignon, la fin
de la semaine de quatre jours à l’école puis s’est prononcé pour un débat sur
la dépénalisation du cannabis. Ayrault a menacé de le sortir du gouvernement à
la prochaine échappée en solo.
Manuel Valls. Principal atout de Hollande, le
ministre de l’Intérieur enregistre 72 % d’opinions favorables (+ 5 points) dans
le dernier tableau de bord Ifop-Paris Match, dont il occupe la première place.
L’artisan de la victoire du candidat PS à la présidentielle continue de
récolter les fruits de sa politique de fermeté face à l’immigration, malgré les
vagues de crimes à Marseille et en Corse.
Michel Sapin. Le ministre du Travail réalise un
sans-faute en dépit de l’explosion du chômage. Sa grande conférence sociale de
juillet est devenue un modèle pour les autres ministres. Très proche de
François Hollande, au fait de tous les arbitrages, Sapin est l’un des rares
membres du gouvernement à pouvoir expliquer la stratégie de l’exécutif dans
tous les domaines. Il a mis son expérience (trois fois ministre sous Mitterrand
et Chirac) au service des autres, apprenant par exemple aux novices comment se
comporter à l’Élysée.
Bernard Cazeneuve. L’ex-maire de Cherbourg, ministre
délégué aux Affaires européennes, a gagné ses galons en faisant adopter au
Parlement le traité européen instaurant la règle d’or sur les comptes de
l’État, que le PS et François Hollande avaient combattue quand Sarkozy la
défendait.
Autre
proche de François Hollande, Stéphane
Le Foll (Agriculture) est un relais du Président dans les médias. Comme Jean-Yves Le Drian (Défense), il
se fait respecter dans un secteur réputé favorable à la droite.
Le JDD