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n 1811, Jean-Auguste-Dominique Ingres (1780-1867) fut chargé de
peindre Le Songe d'Ossian pour le plafond de la chambre de Napoléon au
Palais Quirinal à Rome. À cette époque, l'édifice était en voie d'aménagement
pour devenir le palais du roi de Rome. L'œuvre d'Ingres rendait hommage à une
peinture entreprise plus tôt par François Gérard, Ossian évoque les
fantômes au son de la harpe (1800 ; conservé au musée national du château
de Malmaison). Le peintre possédait par ailleurs des lithographies de Girodet
sur le même tableau et en avait fait des croquis de détails.n
Dans sa composition, le
barde Ossian est assis au premier plan appuyé sur sa harpe et rêve. Il est
éclairé par l'arrière-plan, la lumière vient apparemment du groupe de créatures
éthérées qui occupent les deux tiers supérieurs de l'immense toile. Le fils d'Ossian,
Oscar, porte une épée et un bouclier, tandis qu'à gauche, face à lui se trouve
Eviralina, la femme d'Ossian. Assise, elle tient un arc dans une main et tend
l'autre vers son mari. Derrière, le père d'Ossian, Fingal, conduit une foule de
guerriers dont certains enlacent leurs amantes nues. Au centre du tableau, la
silhouette poilue de Starnos, le cruel roi des neiges, est assise derrière
quatre harpistes, une scène qui rappelle l'opéra de Jean-François Lesueur
(1760-1837),Ossian ou Les Bardes, qu'il avait dédié à Napoléon. Ce dernier,
juste après avoir assisté à la première représentation en 1804, aurait détaché
sa propre Légion d'honneur pour la décerner au compositeur.
La
peinture, aujourd'hui au Musée Ingres à Montauban, subit d'importants
changements, après qu'Ingres eut racheté son œuvre à un marchand d'art
romain, vingt ans après la chute de l'Empire (Ingres dirigeait alors la
Villa Médicis).
Un dessin de 1813 représente
probablement la composition sans les modifications : Eviralina y est assise
à droite, face à Oscar qui flotte sur un nuage juste en face de la cape
d'Ossian et se trouve plus en retrait que dans la version actuelle. Par
ailleurs, sur la toile actuelle, en haut, un vestige de sa lance crée un
étrange effet d'ombre et la position initiale d'Eviralina peut être entraperçue
sur le nouveau bouclier.
Le personnage d'Ossian est capital dans la littérature en vogue au début du XIXe s et a beaucoup inspiré Napoléon Bonaparte. Dans une lettre d'août 1797, Jean-Pierre-Louis de Fontanes, futur grand maître de l'Université impériale, félicita le jeune général Bonaparte pour ses goûts littéraires : « On dit que vous avez toujours Ossian dans votre poche, même au milieu des batailles. C'est en effet le chantre de la valeur ».
Le personnage d'Ossian est capital dans la littérature en vogue au début du XIXe s et a beaucoup inspiré Napoléon Bonaparte. Dans une lettre d'août 1797, Jean-Pierre-Louis de Fontanes, futur grand maître de l'Université impériale, félicita le jeune général Bonaparte pour ses goûts littéraires : « On dit que vous avez toujours Ossian dans votre poche, même au milieu des batailles. C'est en effet le chantre de la valeur ».
Lamartine, âgé de 16 ans
alors, écrivit rétrospectivement dans ses Confidences de 1849 sur
l'importance d'Ossian en ce début de siècle : « C'était le moment où Ossian, le
poète de ce génie des ruines et des batailles, régnait en maître sur la France
». Le critique d'art et peintre Etienne-Jean Delécluze (1781-1863), élève
préféré de Jacques-Louis David, mit en évidence dans ses mémoires le rôle que
Napoléon joua dans cet engouement : « Bonaparte, à son retour d'Égypte, s'étant
pris de passion pour les prétendues poésies d'Ossian, en avait répandu le goût
en France » (Souvenirs de soixante années, 1862). Et le poète et dramaturge
Népomucène Lemercier (1771-1840) écrivit qu'en 1800 Bonaparte avait fait
d'Ossian son poète officiel puisque Homère et Virgile étaient déjà été « pris
», respectivement par Alexandre et Auguste. Un engouement qui ne se démentit
pas tout au long de sa vie : Frederick Lewis Maitland, commandant du
Bellerophon, rapporta qu'en route pour son dernier exil, Napoléon avait emporté
les poèmes d'Ossian.
Mais qui était Ossian
? L'écrivain écossais James MacPherson affirma avoir redécouvert et
traduit en anglais en 1762-1763, des poèmes gaéliques mystérieux écrits par un
certain Ossian, guerrier-barde du IIIe siècle, à peine connu à l'époque. Ses
aventures et celles de son père Fingal, le roi de Morven, rencontrèrent un
succès qui valut la gloire à Macpherson, et se propagea en Europe grâce aux
diverses traductions. En France, celle de Letourneur en France parut en 1777,
et c'est sans doute cette version que Napoléon possédait. Pourtant ces poèmes
étaient une supercherie : en 1805 révélation est faite que MacPherson avait
largement inventé ces vers lui-même. L'enthousiasme n'en perdura pas moins :
Ossian fournissait une alternative rafraîchissante à l'Antiquité gréco-romaine,
qui avait été, jusque-là, la référence historique dominante en Europe.
Parallèlement au Songe
d'Ossian, Ingres fut chargé d'une peinture pour le salon de Marie-Louise au
palais du Quirinal : Romulus vainqueur d'Acron. Ces deux peintures avaient été
soigneusement pensées en fonction de leurs emplacement, probablement choisis
par Vivant Denon, directeur du Musée Napoléon : le premier, une scène de rêve
montrant un enfant préparé pour la guerre face à sa mère, dans un décor épique,
pour une chambre à coucher ; le second, le jeune Romulus victorieux pour le
salon de la mère du petit roi de Rome. Ces deux œuvres – si elles ont jamais
été installées – ont été décrochés lors de la chute de l'Empire, le Pape ne
pouvant pas laisser de place pour cet art résolument païen dans sa
résidence romaine. Cette peinture reste un témoignage d'une époque où le goût
pour la mythologie antique écossaise – même fictive – surpassait celui de la
mythologie gréco-romaine. n
Peter Hicks et Rebecca Young (trad. Marie
de Bruchard) décembre 2015