TRIBUNE
LIBRE
La « mixité
sociale » dont on nous rebat les oreilles depuis qu’elle est
devenue le maître mot des politiques urbaines n’est évidemment qu’un euphémisme
pour parler de mixité ethnique.
Il s’agit de répartir la
population d’origine immigrée pour éviter qu’elle ne se concentre dans certains
quartiers (assimilés à des « ghettos »), et de tenter de
faire cohabiter un peu partout des gens d’origine différente. En visant à une
répartition « plus équilibrée » des populations, la mixité favoriserait
la « cohésion sociale ».
Ce discours incantatoire,
d’autant plus fort qu’il se place dans une perspective universaliste et
égalitariste, se heurte en réalité à deux
obstacles principaux.
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Alain
de BENOIST
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Toutes les études empiriques
dont on dispose montrent, par ailleurs, que dans les quartiers où règne la
« mixité sociale » règnent aussi des formes de cloisonnement et de mise à distance, voire de
séparatisme, qui reflètent une contradiction profonde entre la valorisation
de la mixité et la réalité des modes de vie.
Il en résulte, non pas une
cohabitation harmonieuse et une résorption des inégalités ou des tensions, mais
au contraire un regain de la compétition que se livrent les groupes sociaux
pour l’accès aux ressources urbaines. L’erreur est, ici, de croire que la
proximité spatiale entraîne automatiquement la proximité sociale. Au lieu de
favoriser la production d’un espace commun, la dispersion des populations gênantes peut aussi détruire le lien
social, exacerber les marquages et déstabiliser les sociabilités existantes.
On peut aussi se demander si
le débat sur la « mixité sociale » ne détourne
pas l’attention d’autres formes de paupérisation ou d’exclusion résultant de
l’éviction des populations les plus fragiles de leurs zones d’habitation
traditionnelles…
Les classes populaires ont,
en effet, été doublement expulsées de leur habitat traditionnel, qu’il s’agisse
des centres-villes du fait d’une « gentrification » qui a
rapidement transformé les paysages urbains au bénéfice des classes aisées et
des « bobos », ou des banlieues, que l’arrivée massive des
populations immigrées les a poussées à quitter pour s’installer dans les
« périphéries », ce qui les condamne le plus souvent à une
exclusion culturelle de fait (dont le vote en faveur du FN est l’une des conséquences).
Depuis les années 1980, les quartiers de logements sociaux des grandes villes
se sont de facto spécialisés dans l’accueil des populations
immigrées, avec comme résultat que les non-immigrés tendent désormais à
s’exclure de la demande de logements sociaux.
À
une époque où près de 90 % des Français vivent dans des villes, cela pose
le problème plus général de ce qu’elles doivent devenir ?
Depuis
la fin du XIXe siècle, l’évolution de l’urbanisme a étroitement suivi
celle du capitalisme (le capital a besoin de s’urbaniser pour
mieux se reproduire, rappelait Henri Lefebvre).
On est passé successivement du
modèle de la « ville-atelier », caractéristique de l’ère industrielle,
qui existe avant tout comme concentration d’ateliers de production, à la « ville
keynésienne » orientée vers la demande, c’est-à-dire
fondamentalement dédiée à la consommation et qui va de pair avec l’exode rural
(les centres-villes se tertiarisent, l’État investit massivement dans le
transport et les logements, le dynamisme urbain se traduit par l’extension des
banlieues et l’accession à la propriété privée immobilière), enfin à la « ville
néolibérale » actuelle, orientée vers l’offre, qui s’étend à la
proche périphérie (« péri-urbanisation »), favorise
la circulation et la mobilité, cherche à attirer des entreprises, met l’accent
sur les infrastructures favorisant l’innovation, privilégie l’industrie du
divertissement, la création de « styles de vie », etc.
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Hypertrophie
de la région parisienne
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La
France est marquée depuis des siècles par l’hypertrophie de la région
parisienne. La tendance, aujourd’hui, consiste à miser
sur le développement d’un nombre très limité de grandes métropoles régionales.
Or, comme le fait observer
l’urbaniste Pierre Le Vigan, ce n’est pas de mégapoles que la France a besoin,
et moins encore d’un nouveau « Grand Paris », mais d’un réseau
de villes moyennes (de 50.000 à 100.000 habitants) dont il faudrait renforcer
la densité grâce à un urbanisme de proximité pour mettre fin à cette séparation
grandissante des lieux de résidence, de loisir et de production qui a abouti à
une « mise en morceaux de l’homme moderne ».
Entretien
réalisé par Nicolas Gauthier