Le
temps des entités strictement criminelles ou idéologiques est fini. Produisons
plutôt de pertinents diagnostics, loin d’une pittoresque coalition de
magistrats retraités, d’experts du 11-Septembre 2001 et de journalistes
débordés, tous excités par des ministres qui cauchemardent sur un Merah bis.
Le
rôle majeur du diagnostic est ici d’éviter la guerre de retard. Dans la France
de 2012, d’éviter le scénario de 1990 où, figés dans leur gloire, incapables de
se renouveler, des combattants de la guerre froide prétendaient que, loin
d’avoir disparu, le KGB était d’autant plus dangereux qu’il faisait le mort…
Des années durant, ces anciens combattants nous ont-ils ainsi abreuvés de leurs
radotages, avant de sombrer devant ce qui émergeait dans la décennie 1990 : la
manifeste, l’aveuglante menace salafiste. Or aujourd’hui, qu’il s’agisse de
machines à tuer d’une “extrême dangerosité” ou de pathétiques charlots, nous
avons à coup sûr affaire à des hybrides. Qu’est-ce qu’un hybride ? C’est un
individu, ou un groupe, évoluant entre banditisme et terrorisme.
Parfois,
c’est un terroriste qui tourne gangster après avoir perdu ses illusions ou son
fanatisme (voir ci-après). Parfois aussi, c’est un voyou qui pense s’acheter
une conduite, ou une place au paradis, en agissant dans un cadre “honorable” :
défense du peuple ou de la patrie, jihad, etc. Mohamed Merah entre clairement
dans cette seconde catégorie, et les récents interpellés (Torcy, Cannes, etc.),
aussi.
Cette
menace des hybrides dépasse de loin la France. Elle est même mondiale :
-
À l’été 2012, on apprend que la guérilla dégénérée des Farc (Forces armées
révolutionnaires de Colombie) est désormais “en affaires” avec un sanguinaire
cartel mexicain : le clan Beltran-Leyva. Le 30e “front” des Farc (le long de la
côte du Pacifique), et le 48e front (frontière avec l’Equateur) exportent de la
cocaïne pour le compte de ce clan.
-
Au même moment le méga-gang colombien dit des “Rastrojos” (un des héritiers du
grand cartel de Norte del Valle), affaibli par l’arrestation successive de deux
de ses chefs, s’associe avec une autre guérilla dégénérée, l’ELN (Armée de
libération nationale) au sud-ouest de la Colombie, pour produire et exporter de
la cocaïne en direction du Venezuela.
Après
les hybridations guérillas-entités criminelles, voici celles impliquant des
sectes. Là, l’étrange mutation vient du Mexique. A l’origine, “La Familia
Michoacana”, cartel d’environ 1 200 bandits spécialiste des drogues chimiques.
Particularité de cette “famille” : dans le fort catholique Mexique, elle est
fanatiquement calviniste. En décembre 2010 son chef, Nazario Moreno Gonzalez
(1970-2010) dit “le super-dingue” (El mas loco) est abattu par la police.
Un
segment de la “famille” reprend le flambeau sous le nom de “Chevaliers
Templiers” (Caballeros Templarios). Or à l’été 2012, un culte (lui, plutôt
catholique ?) commence à être rendu à Nazario Moreno : lors de rafles, les
policiers découvrent des autels portant des statues hautes d’un mètre du Mas
loco, en armure dorée et brandissant un glaive. Dans un livret, les prières
adressées au nouveau “martyr”: “Saint Nazario, chevalier du peuple, protecteur
des misérables, donne-moi la vie, protège-moi…”.
Or,
côté hybridation, ce qu’il advient à Liverpool (Grande-Bretagne) est bien plus
inouï encore, comme incroyable mélange. Après un siècle d’inexpiables guerres,
six siècles de haine farouche, des ennemis acharnés comme la planète en compte
peu, des anciens de l’IRA provisoire (“papists”) et d’ex-loyalistes de l’Ulster
Volunteer Force (“prods”, pour protestants) contrôlent désormais ensemble le
trafic du crack dans la ville. La cocaïne arrive d’Amérique latine dans la
banlieue de Dublin, à Ballyfermot. De là, elle est livrée à Liverpool et vendue
dans leurs fiefs par les ex-loyalistes.
Si
ces séculaires et mortels ennemis s’entendent maintenant et travaillent
ensemble, la cause est entendue. C’est qu’un tsunami de mutations balaie la
planète. C’est que le temps des entités strictement criminelles ou idéologiques
est fini. C’est que le type purement criminel ou terroriste sera bientôt voué
aux musées du XXe siècle – ou aux bases de données d’archaïques “spécialistes” aveugles aux mutations du
monde.
Voici
donc venu le temps des hybrides, mutants, mimétiques ou dégénérés. Or détecter
et comprendre ces évolutions est d’autant plus vital qu’on ne recherche que ce
qu’on envisage déjà. Ainsi, penser les criminels et les terroristes de demain
selon les critères, modèles et types d’hier, ranger gentiment les entités
dangereuses de 2012 dans les petites boîtes de la guerre froide – aussi sûrement
obsolètes que les stratégies de 1870 – garantit la guerre de retard, la
bataille perdue d’avance. A monde nouveau, menaces nouvelles – et concepts
neufs.
Ouvrons
l’œil, ces mutants et hybrides sont désormais répandus sur toute la planète et
de types multiples :
- Guérillas
vivant de trafics divers, dont celui des stupéfiants
-
“Marxistes” d’hier devenus trafiquants et blanchisseurs d’argent criminel
-
Jihadis-braqueurs
-
Jihadis-pirates
-
Ex-terroristes reconvertis dans le crime
-
Paramilitaires devenus narcotrafiquants
- Sociétés
militaires privées vendues aux cartels de la drogue
-
Trafiquants d’armes au service de terroristes
- Motards
criminalisés liés à des terroristes
- Sectes
associées à des cartels de la drogue
- Escadrons
de la mort mutant en “forces de sécurité”
-
Entreprises licites au service de cartels de la drogue
- “Soldats
de la Paix” devenant trafiquants ou proxénètes
- Guérillas
mutant en armées à part entière
-
Trafiquants d’êtres humains, actifs dans le narcotrafic
- Mélanges
africains : milices-sectes-bandes armées…
Dans le
registre des dangers et menaces, ces hybrides sont l’avenir.
Si l’on
veut éviter la guerre de retard, c’est eux qu’il faut observer, étudier – et
combattre.