« La seule défaite irréparable, c’est l’oubli » (Jean
BRUNE)
ARMÉE
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16 mai 1843 - Prise de la smala d'Abd
el-Kader par le Duc d’AUMALE
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près la destruction de
sa smala (16 mai 1843) par le duc d’Aumale, l’émir Abd el-Kader se
réfugia au Maroc d’où il lança un nouvel appel à la guerre sainte contre les
troupes françaises installées en Algérie. Au mois de septembre 1845, il
entreprit de franchir la frontière et effectua avec l’aide des populations
fanatisées de sanglantes insurrections qui, sous l’influence des passions religieuses,
se propagèrent sur tout le territoire algérien.■
UN DÉPART TROP PRÉCIPITÉ
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a garnison française la plus
proche de la frontière algéro-marocaine, celle de Djemmâa
Ghazaouet (appelé, plus tard, Nemours), forte de 600 hommes, était
commandée par le lieutenant-colonel de Montagnac, soldat fougueux, violent,
aventureux, mais fort courageux.
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Général CAVAIGNAC
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Le 19 septembre 1845, un
chef de tente de la tribu des Souhalia (que l’on croyait fidèle), le
caïd Trari, vint, insidieusement, avertir Montagnac de la présence d’Abd
el-Kader dans sa tribu dans le but de provoquer un soulèvement et demander, par
conséquent, l’aide et la protection de l’armée française.
Sans prendre le temps
d’apprécier si le danger couru par la tribu était réel ou, s’il s’agissait d’un
piège tendu par l’émir, Montagnac –contrairement aux instructions des généraux
Lamoricière et Cavaignac qui lui enjoignaient de na pas s’aventurer en rase
campagne avec un effectif aussi réduit que le sien- prit la décision de former
une force expéditionnaire afin de s’opposer à la violation du territoire par
l’émir.
Le 21 septembre, à 22
heures, à la tête de cinq compagnies du 8ème bataillon de Chasseurs
d’Orléans, sous les ordres du chef de bataillon Froment-Coste, d’un escadron du
2ème Hussards, commandé par le capitaine Gentil de Saint-Alphonse et de
quatre escouades de carabiniers commandées par le capitaine Burgard, soit 421
hommes, Montagnac se porta au-devant d’Abd el-Kader.
DÉBUT DES COMBATS ET EMBUSCADE
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e 22 septembre, arrivé aux
abords de l’oued Sidi-Brahim, l’officier décida d’établir son campement.
Aussitôt, et durant toute la nuit, des coups de feu furent échangés avec des
cavaliers arabes.
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Général LAMORICIÈRE
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Le 23 septembre, à six
heures du matin, Montagnac refusant l’enlisement, décida de charger et de
réduire l’ennemi. Laissant le bivouac à la garde du commandant Froment-Coste
avec deux compagnies, il partit, en tête des hussards, suivi de trois
compagnies de chasseurs. Parvenus au pied du Kerkour, à trois kilomètres
du bivouac, les hussards chargèrent une centaines de cavaliers qui, aussitôt,
se retirèrent, entraînant de plus en plus loin la charge… et les chasseurs à
pied exténués par leur course poursuite. Soudain,
un millier de cavaliers arabes cachés jusque-là derrière un pli de terrain,
surgirent et, dans un déluge de feu, sous le regard d’Abd el-Kader en personne,
se ruèrent sur l’avant-garde française complètement désorientée.
Très vite la plupart des
officiers furent mis hors de combat y compris le lieutenant-colonel de
Montagnac atteint d’une balle au bas-ventre. Pendant ce temps, les trois compagnies de chasseurs, épuisées par
l’effort fourni pour tenter de rattraper l’escadron, étaient assaillies par des
milliers de fantassins et de cavaliers. La mêlée était indescriptible,
sauvage, impitoyable, sans merci. On frappa, on perça : Les soldats
français de leur baïonnette, les cavaliers arabes de leur lance et de leur
sabre. On trancha, on brisa, on mutila, on acheva. Le sang giclait de partout,
ruisselait abondamment, aveugle. Des blessés étaient piétinés par les chevaux,
d’autres se redressaient péniblement, hagards et ensanglantés, ils étaient
aussitôt décapités pour la plupart. Les chasseurs étaient pris au piège, sans
le moindre espoir de salut. En quelques minutes, leur carré fut anéanti. La résistance à l’ennemi fut sublime, mais
le carnage épouvantable.
DES RENFORTS MASSACRÉS À LEUR TOUR
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verti par une estafette, le
commandant Froment-Coste accourut avec une compagnie de chasseurs et une
section de carabiniers, ayant laissé le camp à la garde du capitaine de
Géreaux, à la tête de la seconde compagnie de carabiniers.
Arrivé
sur le théâtre des opérations, le détachement fut aussitôt assailli par un
ennemi trente fois plus nombreux et enivré de sang. Ce fut un massacre. Le
commandant Froment-Coste et le capitaine Burgard furent tués ; le
capitaine Dutertre, grièvement blessé, fut fait prisonnier. Seuls, deux
chasseurs réussiront, de nuit, à s’extirper d’un amoncellement de corps
atrocement mutilés et rejoindre une colonne française.
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Capitaine DUTERTRE, décapité devant ses hommes
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Survivants de ce carnage,
les quatre-vingt-deux carabiniers du capitaine de Géreaux demeurés au bivouac,
firent retraite sur le marabout de Sidi-Brahim d’où, abrités par des murs de
pierres sèches et de pisé, ils allaient pouvoir organiser plus efficacement
leur défense.
De nouveau une horde
hurlante –toujours sous le regard attentif de l’émir- se rua sur les défenseurs
du fortin mais, cette fois, des coupes sombres éclaircirent les rangs des
assaillants. Vainement, Abd el-Kader envoya des parlementaires pour obtenir la
reddition des carabiniers. Alors, contre toutes les lois de la guerre, il
présenta aux insurgés, le capitaine Dutertre, ensanglanté mais vivant. Celui-ci
avait été prévenu que s’il ne parvenait pas à décider ses compatriotes à se
rendre, il serait exécuté sur place.
Le
carabinier Tressy, l’un des rares rescapés de ce désastre racontera plus
tard : « Entouré de six arabes, le capitaine est très pâle. À
l’invite de ses gardiens, il refuse d’abord de parler puis, un pistolet braqué
sur la tête, il crie d’une voix affaiblie : « Camarades, Abd el-Kader
m’envoie vous demander de vous rendre… Mais moi, je vous engage à résister et à
vous défendre jusqu’à la mort. Vive la France ! ».
À peine eut-il parlé, qu’il
fut abattu de deux coups de pistolet tirés à bout portant. Son corps entraîné
un peu plus loin, fut décapité. Le bourreau prit aussitôt la tête par les
cheveux et vint la montrer aux défenseurs du marabout. Il éleva le sanglant
trophée en ricanant. Cet affreux spectacle fit frémir de rage les
carabiniers : quatre coups de fusil partirent en même temps, et le
fanatique tomba, foudroyé, lâchant la tête ensanglantée du capitaine qui roula
sur le sol. Croyant alors les assiégés découragés et abattus, Abd el-Kader
ordonna au clairon français prisonnier, Guillaume Rolland, de sonner la
retraite, celui-ci n'en fit rien et sonna, au contraire, la charge.
UNE RÉSISTANCE ACHARNÉE
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urant quarante-huit heures,
les défenseurs du fortin résistèrent aux multiples assauts. Sans eau, sans
nourriture et les munitions s’épuisant, la situation devenait tragique.
Conscient de la fin inéluctable qui serait la leur s’ils demeuraient dans cette
position, le 26 septembre, avant l’aube, le capitaine de Géreaux et le
lieutenant Chappedelaine, son second, décidèrent de tenter une sortie dans le
but de rejoindre Djemmâa-Ghazaouet.
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Résistance héroïque des Chasseurs à Pied
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Bénéficiant
de la surprise, avec leurs hommes ils se projetèrent hors de l’enceinte et culbutèrent
les premières lignes d’assaillants pour la plupart endormis. Vers 9 heures
du matin, après une marche épuisante et de multiples harcèlements qui furent
fatal au lieutenant Chappedelaine, ils atteignirent l’oued El Mersa. Là,
ils se heurtèrent à une meute hurlante accourue des douars voisins pour la
curée. Assoiffés, affamés, épuisés, sans munition, les soldats français
combattirent avec bravoure à l’arme blanche. La lutte, bien qu’inégale, se
montra inhumaine, féroce. Les hommes s’aggloméraient, se liant entre eux,
s’embrassant et se perçant, l’œil dans l’œil, avec des petits cris d’animaux
ivres, en roulant peu à peu dans la poussière. Ceux qui devaient là mourir tombèrent. Ceux qui devaient trouver là de
l’honneur s’y montrèrent soudain grandis. Les mains entrèrent à leur tour
dans la chair vive. Il se donna dans cette lutte, des coups de dents et de
griffes à épouvanter la jungle indienne.
De piton en piton, de crête
en crête, la voix de la montagne emportait l’horrible fracas des armes, des
hurlements sauvages, des cris inhumains, des plaintes, et on imaginait aisément
ce que pouvait être ce corps à corps où nul ne faisait de quartier. Ô combat héroïque qu’eût chanté Homère et
qui restera obscur et ignoré, comme tant d’autres de ces combats qui auront
marqué la conquête de l’Algérie !
À UN CONTRE CENT
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un contre cent, ils vendirent cher leur vie,
ces hommes jeunes ou ces vieux guerriers, tous braves et vigoureux. Et
alors que leur capitaine, atteint de plusieurs coups
de yatagan (sabre turc à lame recourbée vers la pointe) avait
succombé et qu’ils étaient sur le point de succomber sous le nombre, trois
coups de canon partis du poste de Djemmâa, distant de 2700 mètres
seulement, jetèrent le trouble chez les arabes qui s’enfuirent emmenant avec eux
une quinzaine de prisonniers. Huit
hommes seulement échappèrent au massacre et atteignirent l’entrée du poste.
Sur
la tragédie de Sidi-Brahim, Alexandre Dumas écrira en hommage à ceux qui firent
le sacrifice de leur vie : « Un jour, on oubliera les détails de
ce magnifique combat que nous pouvons opposer à tout ce que l’Antiquité nous a
légué d’héroïque et de grand !... Jetons une page de plus à ce vent qui
roulait les feuilles de la Sibylle de Cumes et qui emporte toute chose humaine
vers l’obscurité, le néant et l’oubli ».
Dans
la nuit du 26 au 27 avril 1846, sept mois après leur capture, le cousin d’Abd
el-Kader, Mustapha ben Thami, fit égorger les soldats français faits
prisonniers lors de cette bataille.
VICTOIRE FINALE ET REDDITION D’ABD EL-KADER
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ès lors, l’armée française
conduite par le Maréchal Bugeaud, n’eut de cesse de traquer l’émir et de
réduire le soulèvement des tribus fanatisées au djihad. Acculé à la fuite
perpétuelle, abandonné par les tribus les plus fidèles, le 18 juillet 1846, Abd
el-Kader se réfugia pour la seconde fois au Maroc d’où il ne put reconstruire
une armée, se heurtant même à l’hostilité du Sultan.
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Maréchal BUGEAUD
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Le 23 décembre 1847, l’émir
se décida à revenir en Algérie où il demanda l’aman (faire sa
soumission) au colonel de Montauban représentant le général Lamoricière, à
Sidi-Brahim, là, précisément, où il avait remporté une de ses plus grandes et
plus cruelles victoires et fut exilé, à la demande de Louis-Philippe, à Pau
puis au château d’Amboise.
Le
5 janvier 1848, Victor Hugo écrivait : « Abd el-Kader a rendu
son sabre au général Lamoricière dans le même marabout de Sidi-Brahim où se
fit, en septembre 1845, la boucherie de Djemâa-Ghazouet. Lugubre victoire qu’il
est venu expier au même lieu, deux ans après, comme si la Providence l’y
ramenait par la main ».
L’émir fut libéré en 1852
par Napoléon III qui le reçut à Saint-Cloud et le fit acclamer à Paris, à la
veille de son départ pour Damas où il mourut en 1883, grand-croix de la Légion
d’honneur. C’est une habitude de la
France que d’honorer l’ennemi d’hier… même quand il a les mains tâchées de sang
français.■
José
CASTANO
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Note
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Duc d’AUMALE
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Fait
de bravoure extrême, la bataille de Sidi-Brahim, reste dans la mémoire des
chasseurs à pied. Chaque 3ème samedi de septembre,
le château de Vincennes accueille la commémoration des combats de Sidi-Brahim
dénommée « journée Bleu-Jonquille » (fête nationale annuelle des
Chasseurs). C’est en effet à Vincennes qu’en 1838, le 1er Bataillon de
Chasseurs à pieds a été créé et les
Chasseurs, comme leurs camarades légionnaires pour « Camerone » ou
les Marsouins pour « Bazeilles » n’ont de cesse de perpétuer
cette gloire. Le capitaine Dutertre, autant que le clairon Guillaume
Rolland, sont aussi grands que Regulus, et les combattants de Sidi-Brahim
égalent en bravoure les compagnons de Léonidas qui tombèrent aux Thermophiles
sous les forces d’un peuple barbare.
En
1945, les restes des soldats tués à Sidi-Brahim ont été réunis dans
un mausolée à Djemmâa-Ghazaouet appelé « le tombeau des braves ». En
1962, ils ont été transportés à Paris au Musée des Chasseurs, puis, en 1965, au
vieux fort de Vincennes.
Après avoir succédé à son
glorieux aîné, le 8ème bataillon de Chasseurs
d’Orléans, le 8e bataillon de chasseurs a été victime à son
tour de la « purge militaro-administrative » et a été dissous le 7
mai 1999. Les Chasseurs arboraient sur leur épaule avec fierté le nom
de Sidi-Brahim. De plus une célèbre marche militaire s'intitule « La Sidi-Brahim ».