TRIBUNE LIBRE
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À l’heure où les médias dominants nous
assomment de « diversité », il suffit de voyager un peu pour
constater que c’est plutôt l’uniformité qui règne en maître. Paradoxe ?
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C’est vers 2007, sous l’influence d’une mode venue des États-Unis, que le
terme de « diversité » (sous-entendu : « d’origine »)
a commencé à recouvrir le champ sémantique de ce qu’on appelait auparavant les
« minorités visibles ». Quand on dit, par exemple, que la
41e cérémonie des César a « sacré la diversité », il
faut entendre que les minorités y ont été mises à l’honneur (sauf quand elles
étaient évoquées de façon non conformiste, ce qui explique que l’excellent film
de Jacques Audiard, Dheepan, n’ait pas obtenu la moindre récompense) aux
dépens de la majorité.
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Delphine Ernotte
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C’est dans le même esprit que Delphine Ernotte, nouvelle présidente
de France Télévisions, a pu déclarer voici quelques mois qu’« on a
une télévision d’hommes blancs de plus de cinquante ans et ça, il va falloir
que ça change ». En d’autres termes, il faut promouvoir les « races-qui-n’existent-pas »
en faisant disparaître celle qui n’a pas le droit d’exister. Comme nous sommes
dans une société de type orwellien, on comprend du même coup que la promotion
actuelle de la « diversité » vise en réalité à
la faire disparaître.
Une autre façon de procéder est de mettre en
place un faux-semblant de pluralité, assorti d’une fausse liberté de choix.
Prenons à nouveau l’exemple de la télévision : il y a toujours plus de
choix puisqu’il y a toujours plus de chaînes, mais comme elles disent toutes plus ou moins la même chose, le choix
est en réalité inexistant.
On pourrait faire la même observation à
propos des partis politiques, qui emploient presque tous des mots différents
pour délivrer le même message, à savoir qu’il n’y a qu’une seule société
possible. On a le choix entre le
libéralisme de droite et le libéralisme de gauche, comme on a le choix
entre L’Express ou Le Point, Total ou Esso, Pepsi ou Coca.
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La promotion actuelle de la « diversité »
vise en réalité à la faire disparaître.
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L’uniformisation des modes de vie est
elle-même impliquée par l’expansion planétaire du marché et la nécessité
inhérente au système de l’argent de poursuivre à l’infini le processus de mise
en valeur du capital. La diversité n’y
est donc tolérée que sur fond d’uniformité concrète et d’universalité
abstraite. La société tout entière se transforme en machine à fabriquer du
Même.
ET LA DIVERSITÉ CULTURELLE ?
La
diversité culturelle est le constat qu’il existe des cultures différentes. Or, depuis deux
millénaires, toutes les doctrines universalistes visent à nous persuader que
les hommes sont fondamentalement les mêmes.
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Friedrich Nietzsche
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Sécularisées
à partir du XVIIIe siècle, ces croyances aspirent à l’arasement de ce
que Max Weber appelait
le « polythéisme des valeurs », à la suppression des frontières
et au gouvernement mondial. L’image de l’homme
qu’elles véhiculent est celle d’un homme hors-sol, délié de toute forme
d’appartenance et d’enracinement, qui ne serait gouverné que par des
références abstraites (les droits de l’homme) et des mécanismes sociaux
impersonnels (le contrat juridique et l’échange marchand). L’idée générale est qu’il faut détruire les cultures et les peuples,
c’est-à-dire précisément la diversité, en favorisant l’hybridation et le
« métissage » généralisé comme idéaux normatifs d’un vaste
dispositif d’uniformisation. Il y a là une allergie aux différences, à
l’altérité réelle, qui fait songer au« monotonothéisme » dont
parlait Nietzsche.
Claude
Lévi-Strauss,
pour qui la civilisation impliquait la « coexistence de cultures qui
offrent le maximum de diversités entre elles », disait déjà en
1955, dans Tristes Tropiques : « L’humanité s’installe dans la
monoculture ; elle s’apprête à produire la civilisation en masse, comme la
betterave. » Nous en sommes là, à une époque où toute culture
qui prétend ne pas s’aligner sur le modèle dominant est régulièrement présentée
comme « archaïque », scandaleuse ou menaçante.
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Claude Lévi-Strauss
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Au-delà de ce qui se passe chez les humains,
il y a aussi la biodiversité,
c’est-à-dire la diversité des vivants. Or, là aussi, les nouvelles ne sont
pas rassurantes ?
En 3,8
milliards d’années, cinq extinctions massives de toutes les formes de vie ont
eu lieu sur Terre.
La dernière en date, celle du Crétacé-Tertiaire, il y a 65 millions d’années, a
vu la disparition de près de 80 % des espèces de l’époque (dont les
célèbres dinosaures). Plusieurs millions d’années sont nécessaires pour
recouvrer une diversité biologique suite à une extinction massive. Or, de l’avis unanime des spécialistes,
nous sommes entrés actuellement dans la sixième phase d’extinction de masse du
vivant.
L’activité
humaine ne cesse d’accélérer le rythme d’extinction des espèces, qui est aujourd’hui
au moins cent fois supérieur au rythme naturel. Les grands animaux sont
massacrés, les écosystèmes durablement pollués, les habitats de nombreuses espèces
détruits, la surexploitation, le productivisme et la déforestation faisant le
reste.
D’ores et déjà, près de 41 % des
amphibiens, 26 % des mammifères et 13 % des oiseaux sont menacés
d’extinction. Au rythme actuel de
plusieurs milliers ou dizaines de milliers d’espèces anéanties chaque année,
nous aurons éliminé d’ici à la fin du siècle plus de la moitié des espèces
animales et végétales de la planète, jusqu’à atteindre le seuil fatidique
de 75 % d’espèces disparues, au-delà duquel on peut parler d’extinction de masse.
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Extinction des espèces
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Et nous en subirons les conséquences car,
étant donné que les espèces ne vivent pas côte à côte, mais en interaction les
unes avec les autres et avec leurs milieux, il existe un lien systémique entre
les écosystèmes et la biosphère. Ce qui
revient à dire que nous dépendons de la biodiversité. En nous attaquant à elle,
c’est nous-mêmes que nous mettons en danger.