Michaël
Moglia a été militant socialiste de 1989 à 2012. Ancien membre de la Direction
nationale du PS, il est actuellement Conseiller régional du Nord-Pas de Calais,
Président de la Commission « finances, personnel, administration générale
et communication ».
Il
vient de démissionner du PS et s’en explique dans une lettre ouverte à Harlem Désir :
« Pourquoi je quitte le PS. » Une lettre très instructive sur les états d'âme et la déception qui secouent le parti au pouvoir.
Cher camarade, cher Harlem,
Dans la nuit du 6 au 7 mai dernier, tu
étais aux côtés de François Hollande sur l’immense scène installée place de la
Bastille. Cette nuit-là, tu as senti l’espérance d’un peuple de gauche venu
défier les appels presque unanimes à la résignation. Tu as vu ces dizaines de
milliers de Françaises et de Français dont l’enthousiasme était une demande :
celle que les Socialistes, revenus au pouvoir, parviennent enfin à changer la
vie.
Je n’étais pas avec vous à Paris. J’ai fêté
la victoire auprès de mes camarades dans le Nord. Mais déjà, cher Harlem, je
n’y croyais plus beaucoup… Est-ce parce que nous avions déjà trop souvent déçu
les nôtres ? Me doutais-je que nous nous apprêtions à le faire de nouveau,
peut-être plus rapidement et plus brutalement que jamais ?
Je suis entré au PS à l’âge de 17 ans. La
figure tutélaire de François Mitterrand, le poing et la rose, le combat contre
les forces de l’argent, les 110 propositions : jeune militant, je revendiquais
fièrement cet héritage.
Même lorsqu’il s’est éloigné de ses
valeurs, j’ai continué de croire mon Parti capable de rénovation. Grâce à notre
démocratie interne, la prise en compte des différentes sensibilités, l’écoute
mutuelle, la camaraderie (notion aujourd’hui disparue), il me semblait possible
d’ancrer à gauche notre ligne politique.
J’ai la tristesse mais enfin la lucidité,
après vingt-trois années de militantisme, dont neuf au sein de la direction
nationale du PS, de constater que je me suis trompé. Désormais je comprends à
quel point les dirigeants du Parti Socialiste s’accommodent cyniquement d’avoir
une aile gauche pesant en moyenne 15% lors des scrutins internes. Des
personnalités telles qu’Henri Emmanuelli et Benoît Hamon autrefois, ou telles
qu’Emmanuel Maurel aujourd’hui, ont simplement permis de maintenir, en façade
tout au moins, l’image d’un vrai parti de gauche. Tel est le rôle d’Arnaud
Montebourg au Gouvernement ; tel a été mon rôle dans le Nord. À un parti en
pleine dérive idéologique, il fallait ses « idiots utiles ».
Depuis mai, sous le regard d’une Bastille
incrédule, qui avait tant besoin de retrouver la foi dans le progrès social,
François Hollande et le Gouvernement n’ont fait que reculer… sous les
applaudissements de l’appareil socialiste.
Te
souviens-tu seulement du projet que nous avons porté ensemble ?
Dès 2010, Benoit Hamon voulait substituer
au mythe gentillet et creux de « l’égalité des chances » un retour à l’objectif
historique de la gauche : l’égalité réelle entre tous les citoyens. Pour ce
faire, il proposait une batterie de mesures sociales et sociétales ambitieuses.
Bien qu’ayant refusé d’adhérer à ce
catalogue de mesure lorsqu’il était candidat aux primaires, François Hollande
en avait finalement reprises plusieurs dans son programme présidentiel : le
système d’attestations lors des contrôles d’identité, souvent vécus comme
discriminatoires, l’encadrement strict des dépassements d’honoraires des
médecins, le droit de vote aux étrangers pour les élections locales, la
limitation des écarts de salaire de 1 à 20 dans les entreprises publiques. Sur
chacun de ces sujets, le Gouvernement de Jean-Marc Ayrault a soit renoncé
purement et simplement, soit reporté les réformes sine die, soit affadi leur
contenu jusqu’à les rendre inutiles.
La
liste des reculades, des incohérences et des échecs ne s’arrête malheureusement
pas là.
Le Gouvernement a renoncé à exiger le non-cumul des mandats dès 2012, malgré
les engagements pris et signés par l’ensemble des parlementaires socialistes.
La loi sur le logement social a été retoquée par le Conseil Constitutionnel
pour vice de procédure. On a laissé entendre aux Maires qu’ils seront libres de
ne pas appliquer la loi sur le mariage pour tous. La TVA Sarkozy, dite «
sociale », décriée à juste titre pendant la campagne électorale, est revenue
sous une autre forme à l’occasion de la remise du rapport Gallois. Enfin, on
devine que le projet — pourtant central dans le programme de François Hollande
— d’une « grande réforme fiscale » ne sera probablement jamais mis en œuvre
pendant le quinquennat.
Certains choix semblent traduire le
reniement de nos convictions les plus profondes. Malgré le courage et
l’obstination de la Ministre Aurélie Filipetti, le Gouvernement a choisi de
diminuer le budget de la culture. Ce serait grave en temps normal ; c’est
catastrophique en temps de crise, car je reste persuadé que l’Art est le
premier outil de combat — ou d’évasion — lorsque tout va mal.
La
seule ligne directrice du Gouvernement porte un nom : l’austérité. Elle porte
aussi un chiffre, comme une prison intellectuelle : 3%.
La droite n’a jamais tant aimé le PS ;
Manuel Valls est plus que jamais sa coqueluche. Elle qui craignait tant
François Hollande avant son accession au pouvoir, finirait presque par le
trouver exemplaire de courage et de modernité !
Si nous en sommes là aujourd’hui, c’est par
l’enchaînement d’une série de fautes que vous avez commises, main dans la main
avec la droite, au sujet de l’Union Européenne. Vous n’avez tiré aucun enseignement de la large victoire du non au
traité constitutionnel européen de 2005. Pour moi, ce décalage entre les
dirigeants et la base électorale du Parti a été un premier motif
d’interrogation et d’embarras.
Le second a été la promesse faite par
François Hollande de renégocier le traité Merkel-Sarkozy. Et quelle
renégociation ce fut ! Le Président de la République a trouvé le prétexte d’un
« pacte de croissance » indolore et inopérant pour se rallier — ni vu ni connu,
pensait-il sûrement — à la « règle d’or ».
En
réalité, dans l’Europe que vous êtes en train de construire, ou dont vous
acceptez passivement les règles du jeu, les États n’ont pas et n’auront bientôt
plus aucune marge de manœuvre.
Les politiques européennes pèsent sur le
budget de l’État. Et puisque les collectivités territoriales, privées de leur autonomie
fiscale, vivent essentiellement de dotations de l’État, elles doivent désormais
rogner sur leurs politiques, y compris lorsqu’elles relèvent de l’urgence.
Dans
les Départements, c’est la santé et le social qui sont touchés. Dans les
Régions, c’est l’emploi, la formation.
Voilà pourquoi, Président de la Commission
des Finances du Conseil Régional Nord-Pas de Calais, je ne peux pas cautionner
la poursuite annoncée des baisses de dotations d’État aux collectivités, après
l’avoir dénoncée sans relâche pendant les cinq années de mandat de Nicolas
Sarkozy.
Ayant renoncé à transformer l’économie, les
Socialistes pourraient encore se distinguer des libéraux et des conservateurs
en s’intéressant à cette « France invisible » — celle que personne ne veut plus
voir.
Cela a été dit et répété : le PS a oublié
les ouvriers. Mais pas seulement eux. Au fond, vous partagez le diagnostic de
Laurent Wauquiez : un parti de gouvernement doit s’adresser aux « classes
moyennes » (car au moins elles votent). Les chômeurs, les précaires, les
toxicos, les taulards, les prostitués, les paysans, les mères célibataires, les
surendettés, les malades, les psychotiques, les handicapés, les sans-abris :
les exclus de tous poils et les onze millions de pauvres qui vivent en France
ne comptent pas, ou si peu.
Il faut d’urgence prendre des mesures
fortes et symboliques. En 1981, ce furent les 39 heures, la retraite à 60 ans,
la cinquième semaine de congés payés, l’abolition de la peine de mort,
l’autorisation des radios libres… Que propose le PS aujourd’hui ? Le droit au
mariage pour les couples homosexuels, pudiquement rebaptisé « mariage pour tous
», est un pas dans le bon sens. Mais cette mesure seule ne suffira pas à
apporter à la France la bouffée d’oxygène dont elle a tant besoin !
De deux choses l’une. Soit il n’y a qu’une
seule politique à mener, que l’on soit de gauche ou de droite, et dans ce cas le PS s’est moqué des Français pendant dix
années d’opposition, plus particulièrement pendant une campagne électorale
toute entière axée autour de la promesse du changement (« maintenant ! »).
Ou alors une autre politique est possible,
et dans ce cas qu’attendez-vous pour changer de stratégie ? Pour engager un
réel dialogue avec les partenaires de gauche et retrouver le « talisman » de
l’union, auquel François Mitterrand n’avait jamais renoncé ? Oserez-vous faire
ce choix, ou bien donnerez-vous raison à ceux qui ont vu dans la discrète
réception d’élus Modem à l’Élysée, il y a quelques jours, l’amorce d’un
renversement d’alliance avec le centre-droit ?
J’ai
le regret, cher Harlem, de quitter aujourd’hui le Parti Socialiste. Je le fais
avec une grande tristesse mais aussi, en optimiste obstiné, avec l’espoir que
vous retrouverez un jour la voie de la raison et le courage d’être de gauche.
Lettre
parue dans Libération (posté par Patricia)