Maints symptômes le
démontrent : depuis des mois, une vague criminelle enfle en France – et risque
fort de déferler en 2013. Pourquoi ? Comment ? Que faire pour l’éviter ?
Tel
est notre sujet ; mais d’abord, prévenons ceux qui conduisent la sécurité
intérieure, politiques, hauts fonctionnaires, préfets et commissaires, de ne
pas prendre ce diagnostic à la légère.
Qu’ils
nous épargnent leur usuelle métaphore du “cambouis” – “Raufer élucubre dans son
bureau et nous, on est sur le terrain, les mains dans le cambouis”.
Qu’ils
méditent ceci : raisonnablement, prudemment, l’expert prévoit, fournit des
perspectives, propose des issues. En témoigne une étude des Cahiers de la
Sécurité (juin 2007, Institut national des hautes études de la sécurité).
Intitulée “Des bandes délinquantes juvéniles au crime organisé violent”, elle
annonce la mutation de bandes de cités vers le grand banditisme – ce qui advint
peu après.
Qu’ils
songent aussi que – les premiers, longtemps les seuls – nous avons prévu
l’effondrement du terrorisme jihadi en Europe. De fait, durant l’année 2011, il
n’y a pas eu un attentat islamiste en Europe – pas plus en 2012. Tout cela, les
lecteurs du Nouvel Économiste ont pu le lire depuis 2009, dans ces colonnes
mêmes. Mais avant tout, l’expert pose un diagnostic. Le voici.
Marseille : la police et la justice y sont en
roue libre. Trois milieux criminels (corso-marseillais, beur et nomade) s’y
livrent à leur aise à des guerres territoriales, par déficit sévère de
renseignement opérationnels côté forces de l’ordre. Rappel : à Paris, 70 experts
recueillent chaque jour des informations pointues, permettant souvent d’anticiper l’acte criminel ou
terroriste. À Marseille, juste sept ou huit policiers – pour une ville bien
plus vaste que la capitale. Pourquoi ? C’est sans doute que durablement, à
Marseille, “on” a préféré ne pas savoir.
Car
de longue date, la corruption ronge l’appareil policier régional. Et pas les
seuls sous-fifres de la BAC nord : pourquoi, accusent en effet les magistrats
locaux, n’y a-t-il pas eu à Marseille une grosse saisie de cocaïne depuis trois
ans ? Par quel miracle de gros voyous – quatre selon nos sources, en 2012 –
ont-ils pu “s’arracher” à l’aube de leur cachette, les policiers investissant
peu après une planque tout juste désertée, n’y palpant qu’un lit encore chaud ?
Un officier de base peut-il “arranger” de telles manigances ?
La Corse : ce qu’il advient en Corse ces
dernières années est limpide pour le criminologue. A grands traits : trois
décennies durant, un milieu criminel clanique – insistons, il n’y a pas de
“mafia” en Corse – domine l’île. Très protégés à Paris, quelques gros gangs se partagent
alors l’île, fondant aussi en Afrique et aux Amériques (Brésil, Caraïbes) de
lucratifs “empires”. Leurs protections parisiennes s’affaiblissant dans les
années 2000, les crocodiles criminels commencent à se gêner dans le marigot
insulaire : les assassinats sélectifs débutent. Après l’élection présidentielle
de mai 2012, l’ancien système criminel explose, ses barons, facilitateurs et
complices tombent comme des mouches. En prime, des arrestations de “poids
lourds” à Paris, dans les affaires de cercles de jeux. Ici, une seule question
: quelle décisive protection disparaît alors ? Quel “juge de paix” perd-il à ce
moment toute capacité d’alerte, d’arbitrage, de pacification ? Telle est
aujourd’hui la seule question qui vaille. Y répondre permettra de restaurer
l’Etat de droit en Corse. Notre pronostic : et à Marseille aussi, par la même
occasion.
Le diagnostic posé,
voyons maintenant que ne pas faire.
Erreurs conceptuelles
: résidu
soixante-huitard de longue date disparu des grands Etats de droit, une
scholastique, la “culture de l’excuse”, hante encore certains médias parisiens.
Sempiternellement, elle y radote la même idéologie. Exemple : “La prison est
toujours l’école du crime” (Le Monde, 11 août 2012). C’est le sujet d’un “petit
livre incontestable”, s’extasie le quotidien. On y prône de vider les prisons
de quelque 20 000 malfaiteurs détenus pour moins d’un an, et bien sûr, de
massivement recourir au travail social.
Or c’est inepte :
Ø
chacun
sait que le travail social est impraticable dans les cités hors-contrôle, d’où
sont bien sûr issus l’immense majorité des bandits,
Ø
Il
est de longue date prouvé que la prison n’est pas plus l’école du crime pour
tous les détenus, qu’un cours du soir pour ouvriers d’usine ne leur permet à
tous de devenir cadres. Groupe humain banal, le Milieu ne compte en son sein
qu’une minorité s’éduquant pour gravir l’ascenseur social. Donc “école du
crime” oui, mais pour une impalpable minorité statistique.
Ø
En
revanche, l’incarcération permet ce que la criminologie nomme “incapacitation
sélective”. Simplement : si on détient un an un cambrioleur commettant d’usage
20 cambriolages par an, cela soulage la population (et les statistiques) de 20
cambriolages.
Or
Mme Taubira propage ces calembredaines, réduisant d’emblée à néant toute action
positive du ministère de l’Intérieur.
Agir ou communiquer : hypnotisés par les médias, nos
dirigeants politiques conçoivent désormais toute riposte en terme de
communication. Cela impressionne peu le public – qui jauge les promesses à
l’aune de sa sécurité quotidienne – et produit sur les criminels un effet
déplorable. En prime, cela déroute les policiers et gendarmes de terrain.
Ø
Quand
un ministre passe son temps à courir d’un homicide à l’autre et à juger tout
cela “insupportable” ou “intolérable” selon les jours, cela suggère au milieu
(où domine le prédateur réaliste) qu’il a affaire à un faible, réduit à compter
les coups, ce qui l’enchante.
Ø
Quand
les forces de l’ordre apprennent l’instauration de “Zones de sécurité
prioritaires”, elles attendent un mode d’emploi clair et précis : que s’y
passera-t-il ? Qu’y fera-t-on ? Quelles consignes ? Faute de quoi, on est dans
le simulacre. Or, semble-t-il, ce plan d’action précis tarde à venir…