Entretien avec Marine Le Pen réalisé
par Robert Ménard pour Boulevard Voltaire
BV. Florange
ne sera pas nationalisé : à qui la faute ?
MLP. Au pouvoir politique. C’est
toujours lui le responsable. Le plus grand problème de notre temps, c’est que
le pouvoir politique s’est soumis au pouvoir économique. C’est la
déliquescence, la mort du pouvoir politique. Florange n’en est qu’une énième démonstration.
C’est la disparition de l’État-stratège, qui n’est plus capable de faire preuve
d’autorité à l’égard des acteurs économiques dans la défense des intérêts
stratégiques de la France.
Est-ce
qu’aujourd’hui, avec les carcans imposés par Bruxelles, il est encore possible
de nationaliser ? Est-ce seulement envisageable ?
Probablement
non, mais c’est le grand secret de la vie politique française. En réalité, la
défense des intérêts stratégiques de la France est un concept interdit par
l’Union européenne. Ce n’est pas la première fois qu’on le constate. Quand nous
avions renfloué l’industrie automobile, Nicolas Sarkozy avait dit qu’il
imposerait une clause pour que les sous-traitants français en soient
bénéficiaires. Or, il savait pertinemment en le disant que l’Union européenne
le lui interdirait, ce qu’elle n’a pas manqué de faire… Donc, le préalable,
dans la défense des intérêts stratégiques de la France, c’est le bras de fer
avec l’Union européenne. Le problème est que nos dirigeants ont un bras en mousse.
Est-ce
que ça veut dire que Montebourg a tenté « d’enfumer » tout
le monde en promettant quelque chose qu’il savait parfaitement impossible à
réaliser ?
C’est
toute l’ambiguïté du personnage. Il est dans le mensonge, et un mensonge de
fond… Il ne s’agit pas ici uniquement d’un désaccord de points de vue entre le
Premier ministre et Montebourg. Le ministre du Redressement productif obéit à
un rôle très précis qui lui a été attribué par François Hollande : il doit
faire oublier que le socialisme s’est soumis à l’ultra-libéralisme européen. Il
doit faire des promesses, faire mine que c’est possible alors qu’il savait
pertinemment que la nationalisation n’aurait pas lieu. C’est d’ailleurs la
première chose que j’ai dite dans ce dossier. Cette nationalisation n’aura
jamais lieu pour une raison simple : le Parti socialiste est soumis au
diktat et à l’idéologie ultra-libérale européenne…
C’était
également du cinéma quand Montebourg a laissé entendre qu’il envisageait de
démissionner ?
En
tout cas, il aurait dû le faire. La fracture de fond était tellement symbolique
qu’il aurait dû démissionner. Ne serait-ce que pour pointer du doigt cette
compromission du Parti socialiste avec l’idéologie ultra-libérale. Et il aurait
ainsi pu montrer que sa démarche était sincère. Je vous le dis alors que ce
n’est pas tellement mon intérêt car il vaut mieux pour moi que les Français
constatent le niveau de cette compromission. Or le fait même de rester au
gouvernement démontre cette compromission. Monsieur Montebourg aurait dû
prendre exemple sur Chevènement. Dans cette affaire, on ne touchait pas
seulement à un dossier X ou Y, mais à un modèle économique ! Résultat,
Montebourg, aujourd’hui, n’a plus aucune crédibilité à défendre un modèle
économique autre que celui auquel il s’est lui-même soumis en restant au
gouvernement.
Comment
expliquez-vous qu’il soit resté ?
Ils
sont capables de tout pour ne pas être exclus des dorures ministérielles. C’est
pareil pour Cécile Duflot, le même processus : il veulent « ministre » sur
leur carte de visite… Talleyrand disait : « Un ministère qu’on
soutient est un ministère qui tombe. » C’est malheureux mais très
révélateur…
Quand
Jean-Marc Ayrault rappelle que, dans les années 80, la nationalisation de la
sidérurgie a été une catastrophe, que lui répondez-vous ?
Que
la nationalisation n’est pas suffisante. Elle ne peut fonctionner que s’il y a
parallèlement une protection du secteur économique nationalisé. Et cette
protection doit se faire via une priorité nationale, c’est-à-dire, une
protection aux frontières. Il est évident que l’ensemble des pays qui font des
nationalisations stratégiques protègent par des droits de douane leur secteur
économique concerné de la concurrence internationale déloyale, sinon ça n’a
aucun sens !
Aujourd’hui,
vous feriez confiance à Arcelor-Mittal ?
Aucune
confiance. L’État va probablement être amené une nouvelle fois à renflouer, à
verser des fonds dans une entreprise dont les bénéfices vont aller dans la
poche de Monsieur Mittal. Exactement ce que je dénonce depuis des années :
la socialisation du risque et la privatisation des profits.
Qu’est-ce
que vous inspire le fait que l’accord signé entre Arcelor-Mittal et le
Gouvernement ne soit pas rendu public ?
Cela
me scandalise ! C’est la démonstration de l’aspect éminemment critiquable
et contestable de cet accord.
Vous
souhaitez qu’il soit rendu public ?
Mais
c’est déjà fait…
Non,
vous avez lu un texte publié dans la presse, ce n’est pas tout à fait la même
chose…
Il
est évident qu’à partir du moment où cette affaire a été portée sur la place
publique, il est ahurissant que l’accord ne soit pas rendu public. Mais il est
vrai que sa lecture démontre une nouvelle fois que la France est victime d’un
marché de dupes… D’ailleurs, on parle d’Arcelor-Mittal, mais il existe beaucoup
d’autres affaires dans le même genre. J’étais la semaine dernière avec les
ouvriers d’une société nommée « Meca Stamp International », une
des dernières fonderies de France. Ils ont organisé un tour de table et tout le
monde a fait le nécessaire, mais il leur manquait 300 000 euros de prêt d’une
banque privée, lequel prêt était garanti à 70 % par Oseo et à 30 % par leur
stock alors qu’ils sont unique fournisseur d’entreprises comme Caterpillar.
J’ai appelé le cabinet du ministre du Redressement productif car, le lendemain
matin à 9h, le tribunal de commerce devait prononcer la liquidation de la
société. Bon sang ! Avec les milliards que nous avons versés aux banques,
ils ne sont pas capables de demander à l’une d’entre elle de débloquer 300 000
euros ? Avec 169 emplois à la clef ! Le ministre est passé par ses
amis politiques pour solliciter un report de la part du tribunal de commerce et
tenter de débloquer la situation. Je m’en réjouis, mais s’il n’y avait pas eu
le risque d’une législative partielle puisque cette société est située à
Hénin-Beaumont, probablement personne n’aurait levé le petit doigt…
Vous
allez fêter les 40 ans du Front national prochainement : à sa naissance,
le Front était tout sauf ce que vous préconisez aujourd’hui. Il était libéral
et anti étatique. Sur ce terrain-là, vous êtes loin de votre père, non ?
C’est
une erreur d’analyse pour une raison simple : à l’époque où le Front
national était libéral, nous étions en présence de deux éléments majeurs qui
n’existent plus aujourd’hui. D’abord, nous avions des frontières, y compris
économiques, ce qui change totalement la donne. Par ailleurs, le modèle
économique alternatif était le communisme : du coup, vous aviez le choix
entre une économie libre et une économie dirigée, une économie communiste. La
situation est très différente aujourd’hui car, entre temps, le mondialisme
s’est imposé. Et avec lui, l’effacement total des frontières et celui des
outils de protection à la disposition de l’État pour mettre en œuvre une
politique de défense stratégique de ses intérêts. Ce n’est pas tellement nous
qui avons changé : nous sommes toujours pour une économie libre et nous
croyons toujours à la libre entreprise. Mais l’État doit être fort et capable
de défendre ses intérêts stratégiques qui sont l’intérêt supérieur d’une
nation.
Mais la
sidérurgie n’est pas un intérêt stratégique…
Bien
sûr que si ! Comme le sont l’énergie et la communication. Si un fonds
souverain étranger investit massivement dans une entreprise de taxis, par
exemple, ce n’est pas très grave, mais s’il investit dans une entreprise
d’énergie, c’est une autre histoire ! C’est la vision – très gaullienne –
que j’ai du rôle de l’État. L’État n’est pas là pour diriger l’économie, mais
pour permettre les conditions d’une économie libre, pour éviter les abus, les
dérives et pour défendre ce qui est l’intérêt supérieur de la nation, et
notamment son indépendance par rapport à des puissances économiques étrangères.
Cela
signifie que vous êtes opposée à ce que la Fondation Khomeiny mette de l’argent
dans la raffinerie de Petroplus ?
Oui.
Même si
cela peut sauver des emplois ? Il ne faut pas le faire ?
Non.
La parole qui m’a le plus choquée ces quinze derniers jours a été prononcée par
Najat Vallaud-Belkacem. Voilà une femme qui vient nous dire : « Je
ne comprends pas pourquoi on s’inquiète des investissements du Qatar, c’est du
business… » Vous n’imaginez pas comme cette parole peut être
représentative de ce qu’est devenu le socialisme aujourd’hui… Cela signifie que
la loi du commerce écrase tout sur son passage : les mœurs, les
traditions, les lois, les valeurs qui sont les nôtres. Et voilà une femme qui
s’est fait connaître par la défense des femmes et qui vient nous dire qu’elle
accepte avec un très grand plaisir les investissements d’un des pays du monde
où les femmes ont le moins de droits…
(Posté
par Marino)