« Longtemps
considéré comme un modèle sur la scène internationale, l'antiterrorisme
français n'est pas adapté au nouveau visage du djihad, désormais individuel et
dilué », vient de déclarer le juge d'instruction Marc Trévidic.
La
lutte contre le terrorisme en France est en effet très centralisée et donc pas
appropriée à l'infiltration de groupes dispersés sur le terrain, explique-t-il
à l'heure où l'intervention française au Mali provoque un regain de vigilance
en France pour déjouer d'éventuelles menaces d'attentats.
« En
France, la lutte antiterroriste s'est construite sur la lutte contre des
groupes internationaux, très structurés, qui avaient des antennes un peu
partout », dit le vice-président chargé de l'instruction au pôle
anti-terroriste du Tribunal de grande instance de Paris.
« On
lutte aujourd'hui contre des groupes beaucoup moins puissants qu'avant, qui ne
peuvent théoriquement pas faire des attentats de très grande ampleur, mais qui,
d'un autre côté, sont plus difficiles à détecter. On n'a pas tout à fait la
structure adaptée à cette évolution à l'heure actuelle », ajoute-t-il.
PROBLÈME DE PHILOSOPHIE
« (Mohamed)
Merah a eu une conséquence immédiate, la DCRI a décidé d'arrêter tout ce qui
bougeait, c'est-à-dire ne plus prendre le risque de traiter (aucun dossier)
en renseignement », explique Marc Trévidic.
Alors
même que les cas se compliquent et nécessitent davantage de preuves, les
arrestations se font plus rapides depuis mars dernier, poursuit-il. Trois
semaines après, 20 dossiers « qui ne tenaient pas la route »
étaient dépêchés auprès du parquet, se souvient-il.
Un
phénomène encore observé aujourd'hui. Depuis le début du conflit syrien, qui
a fait plus de 60.000 morts en bientôt deux ans d'après l'Onu, une
cinquantaine de Français ont rejoint ce pays, et des enquêtes judiciaires ont
été « ouvertes dans tous les sens », dit Marc Trévidic.
Il
y voit un « problème de philosophie ».
« Il
faut retrouver un équilibre », juge-t-il. « C'est une période très
difficile, et nous avons besoin vraiment de retrouver l'art de surveiller les
milieux salafistes locaux, ne pas penser qu'on peut tout faire en étant
derrière un ordinateur à Levallois », poursuit-il. En même temps,
souligne-t-il, « on n'est pas, à mon avis, capables de connaître tous
(les Mohamed Merah), de les surveiller tous et puis on ne peut pas mettre des
policiers derrière chaque groupuscule salafiste ».
« Là
où on accepte qu'il y ait 4.000 morts sur les routes, qu'il y ait des tueurs
en série, qu'il y ait des gens qui pètent les plombs de temps en temps et qui
tirent dans le tas, qu'il y ait un fou d'un hôpital psychiatrique qui découpe
tout ce qui bouge, on n'accepte pas du tout 7 morts avec Mohamed Merah, alors
que c'est une forme de criminalité. »
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Depuis les années
1980, la France a été la cible d'un terrorisme international lié à la situation
au Proche et Moyen-Orient, en Algérie, puis de réseaux djihadistes. De deux ou
trois groupes importants, Paris a dû se mettre à surveiller une trentaine de
petits groupes.
Cette
nouvelle menace, que Marc Trévidic appelle le « djihad individuel »,
est entretenue par des appels incessants de la part de grands groupes,
notamment Al Qaida dans la péninsule arabique.
« Tous
les pays sont un peu confrontés à ça, mais c'est vrai que nous, on vivait sur
l'idée de l'infaillibilité de notre système. L'antiterrorisme français mettait
en échec un à deux attentats par an depuis 1997, rappelle-t-il ainsi dans son
livre « Terroristes, les 7 piliers de la déraison ».
Aujourd'hui,
l'antiterrorisme est un « problème de travail sur le terrain, de maillage,
d'infiltration des groupes, et donc c'est un peu contraire à notre tradition
centralisatrice ».
DIVERSIFICATION DES
LIEUX D'ENTRAÎNEMENT
En
2008, la fusion des Renseignements généraux (RG) et de la Direction de la
surveillance du territoire (DST) dans la Direction centrale du renseignement
intérieur (DCRI) a encore renforcé cette centralisation. C'est au siège de
cette nouvelle entité, à Levallois-Perret, dans les Hauts-de-Seine, que toute
information "digne d'intérêt" est traitée, dit-il.
Le
"djihad individuel" exigerait au contraire un échange constant
d'information entre services de police et de renseignement locaux, et une forte
présence dans "tous les endroits où ça se passe, en prison
notamment".
Prévenir
ce nouveau terrorisme est une tâche extrêmement ardue et impose d'accepter une
certaine dose de faillibilité du système, ajoute toutefois le magistrat.
La
législation antiterroriste a été renforcée en décembre dernier, permettant
notamment de punir plus facilement les séjours dans des camps d'entraînement à
l'étranger.
Mais
la diversification des lieux d'entraînement et des profils des candidats au
djihad rend leur surveillance difficile. Que faire quand un jeune soupçonné
d'appartenir à une communauté salafiste se rend trois fois par an au Mali,
officiellement pour voir sa famille? s'interroge ainsi le juge antiterroriste.
Aux
Etats-Unis, la police judiciaire peut tendre des pièges aux djihadistes
présumés pour accélérer, voire déclencher, leur passage à l'acte. Une stratégie
que ne peuvent se permettre les magistrats français, confrontés à
l'interdiction, en droit français, de la provocation policière.
"En
tant que juge, je trouve que c'est une barrière saine, je n'aspire pas à
l'infaillibilité", dit Marc Trévidic. "À condition que la France
accepte de temps en temps d'avoir un Mohamed Merah", ajoute-t-il.
Le
meurtre, en mars dernier, de sept personnes à Toulouse et Montauban par un
Français se réclamant d'Al Qaïda a choqué le pays et suscité une polémique
nationale sur l'efficacité des services de renseignement. Au retour d'un voyage
en Afghanistan fin 2011, Mohamed Merah avait été interrogé par la DCRI mais
jamais inquiété.
Avec
Reuters