TRIBUNE
LIBRE
Pieter
KERSTENS
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Le
4 avril 2013, l’ICIJ avait déjà fait paraître une enquête
sur 2,5 millions de documents (soit 100 fois supérieurs à ceux de Wikileaks en
2010) ce que l’on a appelé Offshore Leaks.
Le
5 novembre 2014, apparaît le Luxembourg Leaks qui dévoile
plus de 28.000 pages concernant des milliers d’accords fiscaux avantageux
conclus entre le Luxembourg et des milliers de clients internationaux.
En
février 2015 enfin, le Swiss Leaks occupe les médias en
mettant à jour des fraudes et le blanchiment d’argent noir imputés à la banque
suisse HSBC pour un montant de plus de 180 milliards d’euros concernant plus de
100.000 clients et 20.000 sociétés vers 188 pays différents.
Rien de neuf sous le soleil
donc, et l’on peut se poser la question de savoir pourquoi les gouvernements
persistent à tolérer une telle évasion fiscale, alors même que les instruments
de contrôle existent ! C’est pourquoi
l’étude ci-dessous permet d’en comprendre les mécanismes.
LA GALAXIE FINANCIERE
À l’heure de la crise
financière et économique, les autorités fustigent à tort ou à raison certains
participants aux marchés financiers non pas tant pour leur rôle que pour le
risque qu’ils font peser sur le système financier mondial. Or il existe un
certain nombre de sociétés financières particulièrement puissantes par le rôle
qu’elles jouent dans le bon fonctionnement des mécanismes des marchés
financiers. Ces institutions occupent
une place privilégiée car sans elles, le système ne pourrait plus fonctionner :
ce sont les infrastructures de marché.
Une
infrastructure de marché financier est un système multilatéral
utilisé par les institutions financières incluant l’opérateur du système et
utilisé à des fins d’enregistrement, de règlements des paiements, des titres,
des produits dérivés et autres transactions financières. Ces infrastructures de marché peuvent être regroupées en 4 catégories :
1) Les systèmes de paiement d’importance
systémique (SIPS):CLS, Target2, et les prestataires : Equens, Mastercard,
SWIFT…
2) Les dépositaires centraux de titres (CSD):
Euroclear, Clearstream…
3) Les chambres de compensation (CCP) :
Eurex ; LCH Clearnet, CME pour les opérations standardisées sur les marchés boursiers, STET. (pour les
paiements électroniques.)
4) Les référentiels centraux (TR) et
fournisseurs de données financières: DTCC, Regis TR, Bloomberg, Reuters,
Trioptima, Markit…
Chacune de ces catégories
est dépendante des autres et forment une pieuvre aux multiples tentacules.
Quelle pourrait en être la tête ? Imaginons la disparition de l’une d’entre
elle du jour au lendemain…Si une des plus importantes chambres de compensation
comme EUREX cessait de fonctionner (sans pour autant faire défaut), cela
détruirait il le système ? Non, il
serait ralenti entraînant certainement quelques faillites, et des dommages financiers
collatéraux certains, mais un effondrement du système financier pourrait être
évité.
La rupture nette et
irréversible du fonctionnement des marchés doit venir d’un acteur
incontournable, indispensable, sans réelle concurrence, ou un duopole. Seule
une poignée de sociétés est concernée : il va sans dire que SWIFT en
particulier, mais pas seulement,
correspond à l’entité systémique mondiale typique. En effet, son métier se
concentre autour des services de messageries standardisées de transferts interbancaires.
SWIFT est LE fournisseur mondial de services de messages financiers sécurisés
(« The global provider of secure financial messaging services » tel que décrit
sur son site internet).
SWIFT
SWIFT
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Opérant sur toute la surface
de la Planète et offrant ses services auprès de 11.000 institutions, SWIFT assure plus de 10 millions de
messages journaliers portant sur des milliers de milliards !
Son
siège opérationnel se trouve dans la banlieue de Bruxelles sur la commune de La
Hulpe.
SWIFT a été utilisé à des fins
politiques par le Parlement Européen en 2014
pour envisager de déconnecter la Russie du réseau SWIFT tandis que les
autorités américaines ont piraté des données provenant de la société SWIFT.
Cela montre l’importance à la fois des informations détenues par la société et son rôle dans le
fonctionnement des transactions financières. SWIFT opère la quasi-totalité des
transferts bancaires à travers le monde, notamment en tant que gestionnaire des
codes IBAN. Pratiquement tous les mouvements interbancaires sont donc
traçables. Il est donc d’une facilité déconcertante de retrouver n’importe quel
mouvement financier grâce aux informations détenues par SWIFT.
Le
secret bancaire n’existe pas pour SWIFT : elle sait tout !
EUROCLEAR
EUROCLEAR
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Une autre société ayant elle
aussi son siège en Belgique (coïncidence ?) et occupant une place stratégique
au cœur de la finance mondiale : Euroclear,
l’un des deux dépositaires centraux mondiaux de titres (avec Clearstream* basé
lui, au Luxembourg). Son activité ? Euroclear est le plus grand système de
règlement/livraison de titres au monde, pour les opérations domestiques et
internationales sur obligations et actions.
Le
montant annuel des transactions dénouées par Euroclear avoisine les 500.000
milliards de dollars. Plus de 15.000 milliards de dollars de
titres sont conservés chez Euroclear pour le compte de ses clients. Travaillant
main dans la main avec SWIFT (qui assure la communication des messages
financiers d’Euroclear avec ses clients), Euroclear s’assure que ses clients,
qui opèrent des transactions entre eux, disposent des titres et des liquidités
suffisantes pour les effectuer. Chaque client dispose de comptes cash/titres
ouverts chez Euroclear. Cette dernière
est donc en mesure de confirmer et d’effectuer les transferts, entre ses clients,
d’un compte à un autre en toute sécurité. Si pour quelle que raison que ce
soit, Euroclear n’est plus en mesure d’assurer ce service (et bien d’autres
connexes) le système mondial de transactions sur titres (actions, obligations,
fonds…) ne pourrait plus fonctionner, il serait gelé instantanément.
LES CHAMBRES DE COMPENSATION
La
chambre de compensation
surveille
les prix
|
Les
chambres de compensation sont des organisations financières
opérant sur des marchés financiers réglementés et se portant contreparties pour
chaque transaction (avec une échéance) effectuée par ses membres adhérents pour
leur propre compte ou ceux de leurs clients. La chambre de compensation est
donc acheteuse pour chaque opération de vente et vendeuse pour chaque opération
acheteuse : son risque global de marché est donc nul. Cependant, afin d’éviter
de se retrouver avec une transaction dont la contrepartie ne serait plus en
mesure d’honorer son (ses) contrat (s) (la ou les transaction(s), la chambre de
compensation met en place deux mécanismes destinés à s'assurer que les
opérateurs ne seront pas défaillants au moment du débouclement.
Dès le lancement de la
transaction, elle impose un déposit,
aussi appelé marge initiale, qui correspond, en général, à la variation
maximale tolérée en une journée sur le marché. Ce déposit sert à garantir le
risque résiduel supporté par la chambre de compensation en cas de suspens
(opération non dénouée).
Quotidiennement,
pendant toute la durée de l'opération, elle surveille les différences entre le
prix auquel le produit a été acheté ou vendu. En cas de perte
potentielle ("latente"), elle procède à un appel de marge,
c'est-à-dire qu'elle demande à l'adhérent qui suit cette position perdante de
verser une marge additionnelle. La somme des marges appelées auprès des
adhérents est, par construction, égale à la somme des marges restituées à
d'autres adhérents (wikipédia).
Ces mécanismes financiers
font intervenir en particulier SWIFT et au moins un ICSD, plusieurs CSD, et de
nombreux autres prestataires de services financiers. Si l’un de ces 2 premiers
intervenants vient à ne plus remplir son rôle, une partie importante (et c’est
un euphémisme) des transactions opérées au travers des chambres de compensation
ne pourront plus s’effectuer…maux de tête garantie pour nos autorités et
instances diverses !
Il est bon de savoir que les
organisations ci-dessus n’ont pas de lien direct avec le citoyen et que si un «
accroc » se produit, ce ne sont que des dommages collatéraux que le
consommateur supportera : cartes de
crédit indisponibles, transferts bancaires impossible, paiements électroniques
bloqués. L’économie sera ralentie et les pertes commerciales importantes,
comme cela c’est déjà produit durant quelques heures dans le passé, à cause
d’interférences ou erreurs du système informatique.
Mais dans l’hypothèse d’un
clash imprévu et destructif, que feraient les autorités ? Il est probable que
les financiers et les banquiers refuseront ou limiteront l’accès aux comptes
bancaires et aux retraits de monnaie, ce
qui aggraverait la situation et paralyserait l’économie nationale, européenne,
voire mondiale.
Autant
savoir !
*À propos de « Clearstream », lire les ouvrages du
journaliste Denis Robert « Révélations » et « La boîte noire », parus aux Éditions
Arènes