LAÏCITÉ
Élisabeth Badinter : « Il ne faut pas avoir peur de se faire
traiter d'islamophobe.» Bravo, Madame.
|
Dans un contexte déjà tendu
à gauche en raison du débat sur la déchéance de nationalité, Manuel Valls a
remis le feu aux poudres en s'en prenant à Jean-Louis Bianco, le président de
l'Observatoire de la laïcité, lors d'un débat organisé lundi soir par les Amis
du Crif. Le Premier ministre l'a accusé de « dénaturer » la
laïcité.
Manuel Valls a attaqué bille
en tête le socialiste Jean-Louis Bianco, ancien ministre de François
Mitterrand, et Nicolas Cadène, le rapporteur général de l'Observatoire de la
laïcité, un organisme qui a pour mission de conseiller le gouvernement sur
cette question. Le Premier ministre leur a reproché d'avoir signé une tribune
publiée par Libération au lendemain des attentats du 13 novembre.
Intitulée « Nous sommes tous unis », elle avait été paraphée par 80
personnalités de tous horizons et toutes confessions.
« Il
ne faut pas avoir peur de se faire traiter d'islamophobe »
Pour
Manuel Valls, le problème est que parmi les signataires figuraient des
représentants d'associations musulmanes militantes réputées proches des « Frères musulmans ». Une
situation inadmissible, selon le Premier ministre. « L'observatoire de la laïcité, ça
ne peut pas être quelque chose qui dénature la réalité de la laïcité. On
ne peut pas signer des appels, y compris pour condamner le terrorisme, avec des
organisations que je considère comme participant du climat qu’on a évoqué tout
à l’heure », a déclaré Manuel Valls. Un climat que le Premier
ministre avait qualifié de « nauséabond ».
Manuel Valls a aussi défendu
Élisabeth Badinter qui avait affirmé le 6 janvier dernier sur France
Inter : « Il ne faut pas avoir peur de se faire traiter d'islamophobe ».
Cette déclaration avait entraîné de nombreuses critiques, notamment celle de
Nicolas Cadène qui avait dénoncé ces propos sur Twitter. Une réaction condamnée
par le Premier ministre qui a estimé qu'un « collaborateur d'une organisation
de la République ne peut pas s'en prendre à une philosophe comme Élisabeth
Badinter », dont il a salué la « défense intransigeante de la
laïcité ». Des attaques auxquels Jean-Louis Bianco a répondu en
faisant part de sa « stupeur ». Mais aussi en affirmant que « ceux
qui dénaturent la laïcité sont ceux qui en font un outil anti-religieux,
anti-musulman… »
Deux
visions de la laïcité
Cette passe d'armes montre
que la gauche est aussi divisée sur la question de la laïcité. Il y a deux
visions de la laïcité, plus ou moins strictes. Et ce débat n'est pas récent. Il
faut remonter à l'adoption de la loi de
1905 qui a institué la séparation de l'Église et de l'État et qui est
considérée comme l'acte fondateur de la laïcité. Elle stipule que « la
République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des
cultes, sous les seules restrictions édictées dans l'intérêt de l'ordre
public ».
Mais cette définition de la
laïcité a fait l'objet d'interprétations et même parfois d'affrontements.
Certains, comme Jean-Louis Bianco, estiment qu'il faut s'en tenir à la lettre
de la loi qui interdit simplement d’apposer des signes religieux dans les lieux
publics. D'autres défendent l'esprit de la loi et veulent une laïcisation intégrale.
C’est
l’islam qui pose problème
Ces débats ont vraiment
resurgi à partir des années 1980 et l'apparition de la problématique de l'islam
et de la laïcité. Une affaire, celle des foulards à Creil en octobre 1989,
avait été particulièrement médiatisée. Trois jeunes filles qui ne voulaient pas
retirer leur voile avant d'entrer dans leur collège avaient été exclues. Cela
avait entraîné des débats très virulents et révélé des divergences profondes
sur l'interprétation de la laïcité. Certains défendaient une vision « droit-de-l'hommiste »
et antiraciste, plus souple, d'autres une vision républicaine, intransigeante.
Manuel
Valls se situe dans le deuxième camp et l'a fait de nouveau savoir très
fermement lundi soir. Au risque de provoquer encore une fois une polémique dans
sa famille politique.