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ans son livre-choc "La
France orange mécanique", Laurent Obertone établit un diagnostic alarmant
sur la montée de la criminalité. Une analyse sans pitié. Avec une préface de
notre ami Xavier Raufer.
"Pourquoi
ce livre ? Parce qu'aujourd'hui un simple regard peut tuer." Pour un
premier ouvrage, on peut dire que Laurent Obertone frappe fort. À 28 ans, ce
diplômé de l'ESJ Lille a laissé de côté son travail de journaliste local pour
se consacrer à la rédaction de La France orange mécanique (*). Il y
recense, cliniquement, des faits divers tous plus cruels et gratuits les uns
que les autres, qu'il entrecoupe de ses analyses sur la délinquance et la criminalité.
Ses sources ? Les enquêtes institutionnelles, des entretiens avec des policiers
et le personnel judiciaire, la presse nationale (un peu) et régionale
(beaucoup), passée au peigne fin pendant plusieurs mois. Avec un objectif :
accréditer la thèse selon laquelle la violence a explosé ces dernières décennies.
"Le
bilan réel de l'insécurité, probablement le plus mauvais de l'histoire de la République
française, est d'environ 12 millions de crimes et délits par an", estime
Laurent Obertone.
Pour parvenir à ce résultat, il constate que la criminalité
est "trois fois supérieure" aux chiffres officiels, selon les
enquêtes dites de "victimisation" de l'Insee et de l'Observatoire
national de la délinquance. Ces chiffres sont évalués à environ 3,5 et 4
millions de crimes et de délits chaque année. Il suffirait donc de multiplier.
Il décompose la "véritable addition" comme suit : "Toutes les 24
heures, 13 000 vols, 2 000 agressions, 200 viols." Pour lui, le
"sentiment d'insécurité" n'est pas fantasmé. À le croire, la courbe
de la violence ne cesse de grimper depuis le milieu des années 60, tout en
surpassant allégrement celle de la démographie.
AUTORITÉ SAPÉE
Laurent
Obertone joue-t-il à nous faire peur ? Quel est son but ? "Parler du réel,
de la France des victimes." Soit. La question du "pourquoi"
vient alors tout de suite à l'esprit. L'auteur établit la causalité, si controversée,
entre immigration et insécurité. "En quoi est-il absurde ou effroyable
d'émettre l'hypothèse que certaines communautés, leur culture, leur histoire,
soient mieux adaptées à certains environnements qu'à d'autres ?"
tranche-t-il.
Comme
pour Hugues Lagrange ou Serge Roché avant lui, la question sociale
(la pauvreté et les inégalités comme source de la violence) n'épuiserait pas la
question criminelle. Selon sa thèse, les causes culturelles sont déterminantes,
et pas seulement du côté des populations immigrées. Il dénonce ainsi "la
compétition morale" à laquelle se livreraient "experts, magistrats,
médias et politiques". Par ce terme, il entend l'"idéologie
progressiste dominante" qui, pour schématiser, victimise les coupables et
culpabilise les victimes. Une course à "l'humanisme", qui aurait
largement sapé l'autorité symbolique de la puissance publique et celle de son
bras armé qu'est la répression.
Une
grille de lecture "zemmourienne", voire machiavélique, qui vise à
démontrer en quoi ce bain idéologique coupe la société de la nécessité "biologique"
qu'elle aurait à se protéger d'un trop grand "désordre interne". En
résumé, les hommes sont méchants, comme on le lirait dans Le Prince. Il
faut les juger et, surtout, les punir "réellement" pour faire passer
le message.
JUSTICE NULLE PART ?
Quoi
qu'on en pense, cette partie théorique du livre est desservie par un style
pamphlétaire. L'auteur semble d'abord chercher la confrontation, alors qu'il se
dit attaché aux faits. Des faits pas du tout absents du débat public, comme il
aimerait parfois nous le faire croire. Est-ce d'ailleurs le rôle des médias que
de relater l'ensemble des délits commis chaque jour en France, surtout s'ils
sont des millions ? Ce livre a cependant le mérite d'en rassembler une large
part et de les mettre en perspective. Ces exemples illustrent à quel point les
rouages de la justice seraient affaiblis. Les prisons, tout d'abord, qui
débordent. L'année 2012 "bat tous les records : 67 000 détenus (en 1950 :
moins de 20 000), un taux d'occupation de 117 %". Les magistrats face à
cette réalité sont poussés au "laxisme". Par "idéologie",
selon l'auteur. De quoi rendre moins insupportable l'épouvantail qu'est censée
incarner la loi.
"L'article
48 du projet de loi pénitentiaire de 2009 contraint les juges d'application des
peines à annuler les décisions rendues par les tribunaux. Toute personne
condamnée à deux ans de prison ferme doit être libérée avant que ne
commence sa peine [...]. Les habitués du système savent qu'en dessous de
deux ans de prison ferme ils ne risquent pas grand-chose." Illustration ? Un
simple rappel à la loi pour des coups de marteau provoquant une blessure de 14
centimètres, pointe, parmi une myriade d'autres exemples, le journaliste,
pour qui "la punition est la première des préventions".
Il
s'arrête également sur le cas des policiers, pris en étau entre
l'instrumentalisation par le pouvoir politique et les "zones à
risque", si soigneusement esquivées par nos élus nationaux. Un chiffre
prouve à lui seul leur désarroi : le taux de suicide. Il est de 35 pour 100 000
sur la période 2005-2009, à comparer au 19 pour 100 000 de France Télécom.
La police fait donc "pire" que les salariés du groupe historique, si
médiatisés ces dernières années.
DROITE, GAUCHE,
"MÊME ÉCHEC"
Alors,
à qui la faute ? Finalement, il y a une justice, puisque l'auteur distribue des
mauvais points à tout le monde ! À droite, les années Sarkozy sont pointées du
doigt. Ministre de l'Intérieur puis président de la République, il a joué
"aux gros bras", mais "sans résultats". Pire : sa politique
du chiffre a surtout permis à certains préfets d'empocher une prime annuelle de
60 000 euros... au prix d'indicateurs trafiqués.
À
gauche, François Hollande, le "président des bisous" - un
sobriquet dû à son franc succès auprès des plus jeunes. Il incarnerait la
gauche qui, face à l'insécurité, "se comporte comme un lapereau devant les
phares d'une voiture". Le livre reconnaît cependant au pouvoir socialiste
sa volonté de rétablir la vérité sur les chiffres, comme l'a annoncé
Manuel Valls. Mais prédit aussitôt que "le gouvernement de gauche, pour ne
pas perdre la face ni se fâcher avec la magistrature, sera contraint, comme
d'habitude, de se défausser sur les policiers". Réponse en 2017.
Rappelons
que si l'insécurité est loin derrière la question sociale dans les préoccupations
des Français (le chômage est leur priorité), ce thème devrait pourtant être
traité sérieusement par quiconque souhaite lutter contre l'extrême droite.
"Le décalque de la carte de l'insécurité et celle du vote FN est
parfait", souligne-t-il. Marine Le Pen, une alternative crédible ?
"Elle ne propose rien qui permette de sortir de la spirale à
emmerdements."
À LIVRE-CHOC,
SOLUTIONS-CHOCS
Devant
un tel tableau de la France du crime et de la France qui crame, le lecteur
terrorisé y trouvera quelques solutions. Elles y sont esquissées et semblent
directement importées du modèle américain de la "tolérance zéro",
dont les effets restent largement discutés. D'abord, le rétablissement de la
peine de mort ou, au moins, l'application de la perpétuité réelle, "qui
n'existe presque pas en France". Ensuite, une baisse de l'immigration, évoquée
à demi-mot. Enfin, l'augmentation impressionnante du nombre de prisons, pour
les porter à 300 000 places. Une solution radicale et coûteuse, mais
"remboursée" à terme par la baisse hypothétique de la criminalité.
Avec
de telles solutions, La France orange mécanique laisse l'impression
que la justice façon Obertone serait une sorte de retour à l'état de nature et
à sa loi du plus fort. Drôle de sentiment, alors que l'auteur écrit justement
pour "préserver la civilisation".
(*) La
France orange mécanique, éditions Ring, 18 euros, parution 17 janvier 2013