Entretien avec
Jean-Pierre Brun, auteur de « Camus autrement » (éditions
Dualpha) (propos recueillis par Fabrice Dutilleul).
Pourquoi avoir attendu 2011 pour écrire un ouvrage sur Camus.
Était-ce une façon de saisir l’opportunité offerte par le cinquantième anniversaire
de sa mort ?
Certainement
pas ! Mais que la floraison de livres et d’articles publiés en la
circonstance y soit pour quelque chose, c’est évident. J’ai toujours fustigé
les esprits bien intentionnés qui pratiquent l’art de faire parler les morts.
Et dans ce domaine je n’ai pas été déçu. À lire et écouter des contemporains,
éclairés sinon illuminés, qui venaient de se pencher sur la tombe de notre prix
Nobel, j’ai eu la confirmation que, pour certains, il était mort en 1936, pour
d’autres en 1945 voire en 1951… Bref, c’était pour tout un chacun une opération
à inscrire dans une rubrique « nécrophagique » consacrée à l’art
d’accommoder les restes. Mon épouse, camusienne de cœur, a fait le reste en me
poussant à écrire un « Camus autrement ».
Justement, en quoi votre travail le présente-t-il « autrement
» ?
Camus
lu et étudié hors de son contexte socio-culturel est difficilement
compréhensible. Ce n’est pas un hasard si son ouvrage posthume, « Le
premier homme », est consacré à la présentation de ce contexte. Albert est
« un Pied-Noir », « un petit blanc », comme d’ailleurs les trois-quarts
de ses concitoyens. Très tôt, il a baigné dans cette culture cosmopolite née
d’un apport culturel et folklorique (au sens noble du terme) de gens venus de
partout et de nulle part. Je suis Pied-Noir et à la lecture du « Premier
homme », j’ai bien cru, dans de nombreuses pages, être le modèle de
l’auteur. J’ai vécu en France métropolitaine les mêmes difficultés qu’avait
rencontrées Camus auprès d’une intelligentsia parisienne combien suffisante, à
savoir une incompréhension majuscule. Mon « Camus autrement » ne
vise rien d’autre qu’une explication de ses réflexions, évolutions et
convictions par son terreau originel. Je ne prendrai pour exemple que le
respect de ce sens de l’honneur qui peut paraître bien suranné aux yeux de nos
contemporains, mais qui avait là-bas une telle importance et qui explique chez
lui bien des choses.
En quoi l’image de Camus telle que véhiculée aujourd’hui vous
agace-t-elle ?
Je
me contenterai de contester celles qui, « retouchées »,
« stéréotypées », présentent de lui un profil lisse, sans défaut,
comme des photographies tirées à l’occasion de la première d’un film ou bien
destinée à un programme de théâtre (technique « Studio Harcourt »). C’est
ainsi qu’on peut admirer « le militant révolutionnaire », « le
Libertaire », « le Philosophe » (parfois des classes terminales),
« le Play-boy » (pourquoi pas « façon Humphrey Bogart »), «
le Prix Nobel » (contestable bien sûr), etc. Pour moi le véritable Camus
est celui qui refuse l’étiquette de philosophe et dont l’inaccessible et
interminable quête reste celle du Beau et du Vrai. Lui qui rêvait d’être
sculpteur est d’un classicisme intégral, que ce soit dans le domaine des Beaux-Arts,
de la Littérature, du Théâtre ! Sa référence permanente à la Grèce
antique, ses goûts en matière de peinture, de statuaire, de théâtre le
prouvent. Son opposition farouche à l’abstraction et aux
« Surréalistes » ne devrait d’ailleurs tromper personne.
Le
malentendu qui subsiste aujourd’hui et qui peut donner encore une image biaisée
du personnage réside dans « l’énorme nuance » qui existe entre un
révolutionnaire et un révolté.
Il
est curieux de constater que cinquante ans plus tard des esprits malins en
jouent encore.
Ce devoir terminé et rendu, vous laisse-t-il un regret ?
Je
l’ai dit plus haut, la lecture de « Premier Homme » a fait de
moi comme un jeune frère de Camus. Jean Brune et André Rossfelder m’ont permis
de découvrir un Camus méconnu, méjugé par les siens à l’occasion de sa
recherche d’une trêve civile avec le FLN. Depuis, une question ne cesse de me
tarauder : Comment aurait-il vécu les années 1961-1962 et quel aurait
pu être son apport dans la résolution de la crise ? Mais je le confirme,
il ne faut pas faire parler les morts.
L’auteur et ses livres
Né
à Souk Ahras, Jean-Pierre Brun a sillonné l’Algérie. Il est l’auteur de
plusieurs livres sur la Guerre d’Algérie, notamment ses souvenirs de combattant
politique.
« Tel le
Phénix le bel Albert semble renaître de ses cendres.
Celui que l’intelligentsia avait anathématisé, pulvérisé,
avant de le jeter dans les poubelles de l’histoire
est réapparu semble-t-il, plus fringant que jamais. »
Celui que l’intelligentsia avait anathématisé, pulvérisé,
avant de le jeter dans les poubelles de l’histoire
est réapparu semble-t-il, plus fringant que jamais. »
« Camus
autrement » de Jean-Pierre Brun, Préface de Laurence
Brun-Mircher, 186 pages, 23 euros, éditions Dualpha, collection « Patrimoine
des Lettres », dirigée par Philippe Randa.
Autres livres du même auteur :
Chroniques
de l’Algérie française (25 euros)
J’étais
dans l’OAS Métro Jeunes – 1961-1962 (25 euros)
Témoignages
pour un engagement. OAS Métropole – 1961-1962 (en collaboration) (21
euros)
Une Presse
nationale de combat – 1960-197… (25 euros)
Le « Moi »
du Général (25 euros)