C’est
à Albert Camus que, cette année, nous laissons la parole sur le martyr du roi
Louis XVI, assassiné le 21 janvier 1793.
« Le
21 janvier, avec le meurtre du Roi-prêtre, s’achève ce qu’on a appelé
significativement la passion de Louis XVI.
Certes,
c’est un répugnant scandale d’avoir présenté, comme un grand moment de notre histoire,
l’assassinat public d’un homme faible et bon. Cet échafaud ne marque pas un
sommet, il s’en faut. Il reste au moins que, par ses attendus et ses conséquences,
le jugement du roi est à la charnière de notre histoire contemporaine. Il
symbolise la désacralisation de cette histoire et la désincarnation du Dieu
Chrétien. Dieu, jusqu’ici, se mêlait à l’histoire par les Rois. Mais on tue son
représentant historique, il n’y a plus de roi. Il n’y a donc plus qu’une
apparence de Dieu relégué dans le ciel des principes.
Les
révolutionnaires peuvent se réclamer de l’Évangile. En fait, ils portent au
Christianisme un coup terrible, dont il ne s’est pas encore relevé. Il semble
vraiment que l’exécution du Roi, suivie, on le sait, de scènes convulsives, de
suicides ou de folie, s’est déroulée tout entière dans la conscience de ce qui
s’accomplissait. Louis XVI semble avoir, parfois, douté de son droit divin,
quoiqu’il ait refusé systématiquement tous les projets de loi qui portaient
atteinte à sa foi. Mais à partir du moment où il soupçonne ou connaît son sort,
il semble s’identifier, son langage le montre, à sa mission divine, pour qu’il
soit bien dit que l’attentat contre sa personne vise le Roi-Christ,
l’incarnation divine, et non la chair effrayée de l’homme. Son livre de chevet,
au Temple, est l’Imitation de Jésus-Christ. La douceur, la perfection que cet
homme, de sensibilité pourtant moyenne, apporte à ses derniers moments, ses remarques
indifférentes sur tout ce qui est du monde extérieur et, pour finir, sa brève
défaillance sur l’échafaud solitaire, devant ce terrible tambour qui couvrait
sa voix, si loin de ce peuple dont il espérait se faire entendre, tout cela
laisse imaginer que ce n’est pas Capet qui meurt mais Louis de droit divin, et
avec lui, d’une certaine manière, la Chrétienté temporelle. Pour mieux affirmer
encore ce lien sacré, son confesseur le soutient dans sa défaillance, en lui
rappelant sa « ressemblance » avec le Dieu de douleur. Et Louis XVI
alors se reprend, en reprenant le langage de ce Dieu : « Je boirai,
dit-il, le calice jusqu’à la lie ». Puis il se laisse aller, frémissant, aux
mains ignobles du bourreau. »
Albert Camus, L’Homme révolté,
Les régicides, Éd. Gallimard, pp. 152-153, Paris, 1951.
