Circonscrit jusqu'ici
au Caucase du Nord, le djihadisme, commence à s'étendre à d'autres régions de
la fédération. Moscou craint que l'islamisation du monde arabe contamine les
Républiques musulmanes d'Asie centrale, voire même la Russie.
La
police russe a arrêté cette semaine à Moscou six membres du parti Hizb
al-Tahrir al-Islami (Parti de la libération islamique), présenté comme «extrémiste»
par les autorités russes. Les six hommes sont accusés de prosélytisme radical
dans plusieurs mosquées de la capitale. Des armes et de l'argent ont été
saisis. Cette opération n'est pas la première du genre. Plusieurs cellules de
cette organisation ainsi que d'autres mouvances islamistes, politisées ou non,
ont déjà été démantelées.
La
menace salafiste est souvent exagérée par Moscou qui «l'amalgame à toute forme
de contestation de son autorité» constate Bayram Balci, chercheur au
Ceri-Sciences-Po. Une perception «sécuritaire voire répressive n'a fait
qu'exacerber les relations du Kremlin avec les musulmans», ajoute-t-il. De
même, le terrorisme dit islamiste est souvent «la résultante d'un cocktail à la
fois islamiste, identitaire et mafieux et il est parfois difficile de
distinguer groupes islamistes, bandes criminelles et même forces de sécurité».
N'empêche,
la menace d'un islam radical est bien réelle. Elle a été et demeure le plus
souvent liée au mouvement insurrectionnel dans le Caucase du Nord. Fin août, au
Daguestan, le cheikh Saïd Afandi Atsaev, pilier de la confrérie soufie des
Naqshbandi, qui prônait un islam modéré, a ainsi été tué avec six autres
personnes par une femme kamikaze. Autre exemple spectaculaire: l'attentat à
l'aéroport moscovite de Domodedovo qui avait fait 35 morts en janvier 2011.
LA RUSSIE PREMIER PAYS
MUSULMAN D'EUROPE
Mais,
et c'est plus inquiétant selon Bayram Balci, le salafisme djihadiste commence à
s'étendre dans la région Volga-Oural, plus précisément dans les Républiques
autonomes du Tatarstan et du Bachkortostan, régions musulmanes longtemps
réputées calmes. Le 19 juillet dernier, à Kazan, deux leaders musulmans ont été
victimes d'une double attaque revendiquée sur YouTube par un certain Marat
Khalimov, «émir des moudjahidines du Tatarstan». Le mufti (chef religieux) du
Tatarstan n'a été que blessé mais son adjoint a péri. Tous deux incarnaient
également un islam modéré. Une déstabilisation de cette région aurait des
conséquences économiques redoutables selon Xavier Le Torrivellec, chercheur à
l'institut français de géopolitique, car «s'il venait à tomber, le domino
ouralo-volgien risquerait d'emporter avec lui celui de la Sibérie, grande
productrice de pétrole qui alimente l'Europe».
La
Russie est le premier pays musulman d'Europe: une communauté de 20 millions de
personnes. «Il s'agit de populations locales, nullement étrangères au pays»
explique Bayram Balci. Les musulmans sont présents surtout dans le Caucase,
«islamisé, rappelle l'expert, dès les premières conquêtes arabes, au milieu du
VIIIe siècle». Il y a aussi les Tatars et les Bachkirs «deux peuples turciques
disposant de Républiques autonomes éponymes». À ces deux groupes indigènes,
poursuit Bayram Balci, il faut ajouter «les centaines de milliers de migrants
originaires d'Asie centrale qui travaillent en Russie». Ces trois groupes
appartiennent à l'islam sunnite.
MOSCOU SE MÉFIE DU
PRINTEMPS ARABE
Interdit
en Russie, le parti Hizb al-Tahrir al-Islami est lui aussi originaire d'Asie
centrale. Implanté notamment en Ouzbékistan, où il est devenu la bête noire du
régime du président Karimov, et dans la vallée de Fergana, il se dit
non-violent et projette d'instaurer un califat qui regrouperait les musulmans
du monde entier. Selon Bayram Balci, «il a aussi des structures clandestines en
Russie, mais plus dans la région Volga-Oural que dans le nord du Caucase où ses
méthodes ne passent pas, comparées à celles des djihadistes locaux».
On mesure mieux dans
ces conditions la ténacité avec laquelle Vladimir Poutine défend le
régime du président syrien Bachar el-Assad. Traumatisée par les révolutions de
couleur qui ont ébranlé son «étranger proche», en Géorgie, en Ukraine, au
Kirghizstan, la Russie se méfie du printemps arabe. Elle s'en méfie
d'autant plus qu'il a conduit des islamistes au pouvoir. «Un cauchemar pour
Moscou qui craint le même scénario en Asie centrale, explique Bayram Balci.
Céder sur la Syrie, reviendrait à céder sur d'autres insurrections qui
pourraient éclater dans l'espace post-soviétique, en Ouzbékistan, au
Kazakhstan, en Azerbaïdjan. En clair, Moscou craint que l'islamisation du monde
arabe ne finisse par contaminer les Républiques musulmanes d'Asie centrale,
voire même la Fédération de Russie».
Le Figaro