Le défilé des
politiciens, technocrates et eurocrates venant dire avec une voix tremblante
d’émotion l’honneur ressenti avait une dimension tragicomique : d’abord par le
caractère convenu des paroles politiquement correctes, ensuite par l’absence de
tout lien entre leur action et la fameuse récompense, enfin par le contraste
entre celle-ci et la révolte qui se dessine chez les peuples du sud contre la
crise actuelle de l’économie européenne face à laquelle les « responsables » et
coupables, d’ailleurs, semblent totalement impuissants.
On
peut évidemment prêter aux « Pères de l’Europe » la volonté de construire la
paix dans un continent dévasté par deux guerres mondiales dont il avait été le
centre et à l’issue desquelles il cessait d’être le pivot de la planète. Mais
la paix s’est bâtie sur des fondements objectifs et sur des volontés étrangères
à l’Europe plus que sur les nobles intentions des fondateurs. Qui plus est, les
actes les moins pacifiques ont peut-être été les plus importants. Ensuite, la
construction de l’Europe est en grande partie une trahison plurielle envers
l’esprit qui dominait le projet à son origine.
Le prix Nobel de
la Paix est distinct des autres. Il est remis à Oslo quand les autres le sont à
Stockholm. Son lauréat est choisi par un comité désigné par le Parlement
norvégien, alors que les « Nobel » suédois sont sélectionnés par des
spécialistes des disciplines concernées.
Cela
justifie que les Français puissent ressentir une légitime fierté à l’annonce de
la récompense de Serge Haroche qui reçoit ainsi qu’un chercheur
américain, le prix Nobel de physique 2012. C’est un exemple de la qualité de la
recherche française en physique, qui bénéficie d’une longue et forte tradition,
et se trouve à la pointe dans plusieurs domaines, et au sein d’équipements
performants comme ceux de Saclay, de Cadarache ou du Cern. Il faudrait mettre
davantage en valeur ce succès pour inciter les jeunes Français à se tourner
vers la science, et pousser ceux qui sont doués pour les mathématiques à
préférer le laboratoire au marché boursier. Ce prix décerné par un comité issu
de l’Académie Royale des Sciences de Suède, conseillé par des scientifiques
jouissant d’une autorité mondialement reconnue, est une marque de
reconnaissance objective auprès de laquelle le « Nobel » de la paix
fait pâle figure. Il s’agit d’un trophée politique dont le bénéficiaire est
choisi par un comité désigné par le Parlement norvégien qui, certes, ne nomme
plus de parlementaires, mais qui doit quand même effectuer un choix en fonction
des forces qui le constituent. C’est ainsi que le Président de ce comité n’est
autre que Thorbjörn Jagland, vieux professionnel de la politique et homme
d’appareil du parti travailliste, ancien Premier ministre, ancien Président du
Parlement et actuellement Secrétaire général du Conseil de l’Europe. Que ce
rival malheureux du Premier ministre actuel ait envie de se faire remarquer,
que l’un des piliers du Conseil de l’Europe, chaud partisan de l’entrée de la
Turquie, déjà membre du Conseil, dans l’Union européenne alors qu’il n’a
jamais persuadé ses riches compatriotes assis sur leurs réserves
d’hydrocarbures de le faire, ait voulu adresser un message politique, personne
n’en doute. Il en est d’ailleurs à son troisième coup : on ne lui reprochera
pas le choix d’un dissident chinois encore que celui-ci fasse un intéressant
contraste avec les courbettes des désormais pacifiques dirigeants européens
devant les dictateurs de l’Empire du Milieu qui sans s’émouvoir maintiennent en
prison le lauréat Liu Xiabao.
En revanche, la
désignation d’Obama l’année précédente revêtait un caractère politique
planétaire, le coup de chapeau de la gauche internationale à l’un des leurs
avant qu’il ait fait quoi que ce soit, sauf de refermer l’ère de l’horrible Bush.
Le « gendarme de la
planète » continue à régler ses comptes à coups de drones, de services
spéciaux ou à travers ses alliés, en Libye, en Syrie, au Pakistan, en Irak, et
très directement en Afghanistan, et si on peut tout à fait en comprendre les
raisons, le Nobel de la Paix à Obama prend la forme d’une usurpation ou d’un
gag. Cette année, pas de doute, la deuxième option est la bonne : avec l’Union
européenne, le Comité Norvégien, qui en 1973, avait déjà fait très fort en
désignant Lê Duc Tho, juste avant que son pays n’envahisse le Sud Vietnam,
prend le risque de faire du « Nobel » norvégien ce que le Razzie
Awards est aux « Oscar ». Le défilé des politiciens, technocrates et
eurocrates venant dire avec une voix tremblante d’émotion l’honneur ressenti
avait une dimension tragicomique : d’abord par le caractère convenu des paroles
politiquement correctes, ensuite par l’absence de tout lien entre leur action
et la fameuse récompense, enfin par le contraste entre celle-ci et la révolte
qui se dessine chez les peuples du sud contre la crise actuelle de l’économie
européenne face à laquelle les « responsables » et coupables,
d’ailleurs, semblent totalement impuissants. Que le prix soit décerné par des politiciens
d’un pays riche du nord qui ne daigne même pas entrer dans l’Union peut même
prendre l’allure d’une provocation. Ce prix est doublement immérité :
d’abord, on peut évidemment prêter aux « Pères de l’Europe » la
volonté de construire la paix dans un continent dévasté par deux guerres
mondiales dont il avait été le centre et à l’issue desquelles il cessait d’être
le pivot de la planète. Mais la paix s’est bâtie sur des fondements objectifs
et sur des volontés étrangères à l’Europe plus que sur les nobles intentions
des fondateurs. Qui plus est, les actes les moins pacifiques ont peut-être été
les plus importants. Ensuite, la construction de l’Europe est en grande partie
une trahison plurielle envers l’esprit qui dominait le projet à son origine.
« Le Comité
Norvégien, en 1973, avait déjà fait très fort en désignant Lê Duc Tho,
juste avant que son pays n’envahisse le Sud Vietnam… »
Parmi
les cinq Pères figuraient trois hommes spirituellement proches : trois
catholiques fidèles au message de l’Église, trois démocrates-chrétiens, trois
hommes nés Allemand ou Autrichien, mais attachés à leur petite patrie régionale
et frontalière, l’Italien du Trentin De Gasperi, le Français de Lorraine
mosellane Schuman et l’Allemand rhénan, un moment tenté par le
séparatisme, Adenauer. Il y avait aussi un belge Paul-Henri Spaak, à
la fois politiquement socialiste et philosophiquement libéral, et dans ce pays,
cela signifie libre-penseur, qui montra paradoxalement sa proximité avec
l’atlantisme, le monde économique et s’engagea dans la défense de la
petite patrie qui était la sienne : Bruxelles francophone. Tous les quatre ont
exercé, un temps parfois long et essentiel, les plus hautes responsabilités
politiques de leur pays. Le cinquième est très différent : Jean Monnet venait
du monde des affaires et n’a jamais été élu. Toute sa vie semble avoir été
parcourue par la volonté suspecte d’en finir avec les États-Nations, si
contraires aux allées et venues des intérêts économiques, notamment de part et
d’autre de l’Atlantique : de la fusion France-Royaume-Uni en 1940 à l’Europe
fédérale, Monnet a voulu tisser petit à petit une Europe de l’économie et des
projets, sûr que ces petits pas feraient oublier, le moment venu, que le grand
pas de la disparition des États s’était accompli dans l’indifférence. Toute sa
vie a consisté à préférer les coulisses à la scène et à négliger les peuples,
ce qui est, quand même, bien regrettable pour un projet démocratique. Son
jugement détestable envers De Gaulle, dont il a dit que c’était « un
ennemi du peuple français et de ses libertés… qu’il fallait détruire » devrait
le disqualifier définitivement. De Gaulle et Adenauer ont fait plus pour la
paix en Europe que Monnet. La force de dissuasion française et le réarmement
allemand face à la menace soviétique ont joué un rôle plus grand dans le
maintien de la paix que la lente élaboration économique de l’Europe dont le
résultat a été indirect en raison de la différence de niveau de vie qu’elle a
contribué à instaurer de part et d’autre du rideau de fer. En revanche, la
dérive technocratique, le cumul insensé de l’approfondissement et de
l’élargissement, la multiplication coûteuse d’instances et de postes
inefficaces soulignent l’éloignement par rapport à l’idéal démocrate-chrétien
qui dominait chez les pères politiques de l’Europe à l’origine. On imagine Madame Ashton recevoir
le prix à Oslo ? Après Obama, pourquoi pas ? Mais il était connu et venait
d’arriver. Elle est là depuis un bon moment et on ne sait toujours pas à quoi
elle sert.
La
paix en Europe a été érigée sur les décombres d’une puissance perdue, marquée
pour certains pays, et particulièrement le nôtre par les conflits liés à
l’écroulement des empires, maintenue par le parapluie économique et militaire
des États-Unis, et enfin consacrée par l’effondrement soviétique auquel ont
contribué essentiellement, un Président des États-Unis, Ronald Reagan et
sa guerre des étoiles, et un Pape polonais qui a prouvé que la foi vivante
valait plus que les divisions blindées.
La
paix de l’Europe, c’est celle des Grecs après les guerres
du Péloponnèse lorsque Sparte-l’Allemagne, Athènes-l’Angleterre,
Thèbes-la France, exsangues acceptent la paix des Empires qui les entourent.
Ceux qui criaient à gauche « plutôt rouges que morts » voulaient
aussi la paix. Quant au conflit européen de l’ex-Yougoslavie, sa solution, avec
la création artificielle de pays improbables comme la Bosnie ou le Kossovo doit
tout à la volonté des États-Unis et de leurs alliés paradoxaux contre la Russie
et rien aux pays européens, sauf les sacrifices de leurs soldats dans une
guerre où les vieux intérêts nationaux l’ont parfois emporté, comme lors de
l’aide de l’Allemagne à la Croatie.
Beaucoup
d’Européens doivent ressentir cette récompense comme une marque
d’autosatisfaction des politiques et d’indifférence à leurs problèmes. L’Europe
est en guerre, en guerre économique, et nombre de leurs dirigeants pétris
d’esprit mondialiste et d’intérêts électoraux n’ont pas pris les moyens de la
gagner. Où sont les rodomontades de la stratégie de Lisbonne ? La majorité des
prix sérieux revient à des américains et à des asiatiques. Alfred Nobel avait,
parait-il, créé le prix de la paix pour se faire pardonner l’invention de la
dynamite. Celui de cette année pourrait être un bâton de dynamite jeté dans les
jambes des manifestants d’Athènes ou de Madrid, ce ne sera qu’un pétard
mouillé.
*Christian Vanneste
est ancien député UMP du Nord.
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