TRIBUNE LIBRE
« Et ton nom paraîtra dans la race future, aux plus cruels tyrans, une cruelle injure ! » - Jean Racine - (« Britannicus »)
En ce début d’année 1962, en Algérie, l’Organisation Armée Secrète
était arrivée à l’apogée de sa puissance et le slogan « l’OAS
frappe où elle veut, quand elle veut », n’avait jamais été aussi
vrai. A Oran, elle était maîtresse de la ville. À sa tête figuraient des noms
prestigieux comblés de gloire et d’honneurs qui entretenaient un climat de
confiance malgré le tragique de la situation…
Le gouvernement gaulliste ne pouvant admettre
pareille humiliation, avait nommé à la tête du secteur autonome d’Oran, afin de
réduire cette « OAS narguante » -et pour
le malheur des Oranais- le 19 février 1962, le général Joseph Katz en remplacement du général Fritsch qui refusait
de pratiquer sur les membres de l’OAS cette besogne de basse police qu’était la
torture. La mission de Katz :
« Mettre au pas la ville sous
contrôle de l’OAS ». L’Organisation était alors dirigée par
les généraux Jouhaud et Gardy, le colonel Dufour, le commandant Camelin, le
lieutenant de vaisseau Pierre Guillaume, Charles Micheletti et Tassou
Georgopoulos.
En bon exécutant, Katz, s'apprêtait à écraser
ceux qui refusaient d'obéir aux ordres de l'Élysée et ceux qui persistaient à
crier « Algérie française ! », maxime désormais classée comme
« cri séditieux », ajoutant aux vertus de l'obéissance
passive, une haine que même le règlement de la gendarmerie (sa garde
prétorienne) ne prescrivait pas.
Carré d'épaules, rond de ventre, aussi peu
distingué que son complice d’Alger, le
colonel Debrosse, outre celle de leur cruauté, on leur prêtait une certaine
ressemblance : même corpulence massive, même front de taureau, même manie de
traiter tout le monde de «con » ou de « bon à
rien », même absence de scrupules. En somme, pour reprendre les
mots de Lamartine : « Rien d’humain ne battait sous son épaisse
armure ».
Katz était un militaire républicain que De
Gaulle avait cueilli à Bordeaux pour l'envoyer mater la « racaille
d'Oran » (sic). Son sentiment à l'égard des Pieds Noirs était
celui-ci : « Un ramassis de descendants de déportés de droit commun, de négriers qui
veulent conserver leurs privilèges. »
Alors qu'à Alger, depuis la sanglante affaire
des Barricades, on avait surnommé Debrosse
: « Le sanguinaire », très vite, aux yeux des Oranais, Katz
allait devenir « Le boucher ». Pour briser toute
résistance, la première consigne qu'il donna à sa troupe essentiellement
constituée de « gens sûrs », en l'occurrence les Gendarmes Mobiles, dits
« les rouges », fut celle de tirer à vue sur tout Européen
qui aurait l'audace de paraître sur une terrasse ou un balcon lors d'un
bouclage. « Le feu - précisa-t-il - sera ouvert sans sommation sur
les contrevenants à partir du 23 avril. De même, le feu sera ouvert, par tous
les moyens y compris l'aviation, sur les éléments OAS circulant en ville. ».
C'était ratifier une pratique que les « gendarmes rouges » utilisaient
déjà depuis un mois...
Les premières victimes du « boucher
d’Oran » furent deux adolescentes de 14 et 16 ans : Mlles Dominiguetti et Monique Echtiron qui étendaient du
linge sur leur balcon. Elles furent tuées par les gendarmes. Les projectiles
d’une mitrailleuse lourde de 12/7 traversèrent la façade et fauchèrent dans
leur appartement, Mme Amoignan née
Dubiton, dont le père était déjà tombé sous les balles d’un terroriste du
FLN, ainsi que sa petite fille, Sophie,
âgée de deux ans et demi et sa sœur, Frédérique, âgée de treize ans qui,
atteinte à la jambe, eut le nerf sciatique arraché et dut être amputée.
« Il est beau qu’un soldat désobéisse à des ordres
criminels » ; à l’évidence, ces « soldats » par trop
zélés n’avaient pas lu Anatole France…
Cette lutte « impitoyable et par tous les
moyens », selon l'ordre donné par de Gaulle, faisait partie d'un
plan mûrement concerté : IL FALLAIT
ABATTRE L'ALGERIE FRANÇAISE ; il fallait aussi montrer aux masses
musulmanes, longtemps hésitantes, qu'elles devaient maintenant et
définitivement, opter pour le FLN dont la France était désormais l'alliée,
luttant, avec ce mouvement terroriste, contre l'ennemi commun : LE FRANÇAIS D'ALGERIE ! Et cette
alliance n’avait aucune limite, ne souffrait d’aucun scrupule dès lors qu’elle
permettrait de venir à bout de l’OAS… Pour preuve : au mois de mai 1962, la
gendarmerie « blanche » arrêta un assassin de la pire espèce, Slémani
Slimane, qui reconnut avoir torturé et tué vingt-sept Européens. Il fut
inculpé. Katz le fit libérer et rapportera que ce dernier « lui
rendra de grands services dans les jours les plus agités ».
S'adressant à un membre de l'Exécutif
Provisoire, Katz eut ces mots terribles : « Donnez-moi un bataillon de
l’A.L.N. et je réduirai l’O.A.S. à Oran ». Ces propos, monstrueux
et inqualifiables de la part d'un officier français firent l'objet d'une
question à l'assemblée Nationale (J.O. du 8 mai 1962 - page 977). Ce « bataillon
de l’ALN », Katz allait néanmoins se le procurer –avec
l’assentiment discret de l’Élysée- en procédant au recrutement de la plus
immonde espèce d’assassins qu’il eût été donné de voir…
Ce renfort était constitué par les « martiens »,
ces révolutionnaires du mois de mars, qui, le cessez-le-feu prononcé, venaient
sans danger rejoindre les rebelles. Ils étaient les combattants de la dernière
heure, impatients de fêter dans le sang leur baptême de « libérateurs »
et de se parer d’états de service de pillages et de tueries à faire pâlir le
plus chevronné des assassins. Leur unique but était de se faire valoir et,
surtout, de faire oublier qu’ils s’étaient abstenus de combattre durant sept
années, attendant de connaître l’issue des armes pour se ranger du côté du
vainqueur. De ce fait, ils étaient devenus les plus sanguinaires : exactions, tortures, viols, massacres
d’Européens et de harkis se multipliaient, mais on n’en parlait pas. Leurs
bandes anarchiques allaient être à l’origine du pogrom anti européen du 5
juillet 1962 à Oran qui fit plusieurs milliers de victimes… mais dont on taira
le nombre exact.
La fraternisation entre Gardes Mobiles et FLN
était sans retenue : le soir, les premiers étaient généreusement pourvus en
prostituées envoyées par les seconds. On ne peut, dès lors, s'étonner de
l'attitude passive qui fut celle de Katz et de ses gendarmes lors de la tuerie
du 5 juillet… Sur ce point, rappelons cette anecdote impliquant un officier
français musulman, le lieutenant Rabah
Kheliff qui commandait la 4e compagnie du 30e BCP (Bataillon de
Chasseurs Portés). Le 5 juillet 1962, celui-ci, apprenant que des
civils européens étaient regroupés en divers points de la ville d’Oran dans
l’attente d’être exécutés, décida de passer outre les ordres de Katz de ne pas
intervenir et de se porter à leur secours. Il prévint par téléphone son
colonel, qui répondit : « Faites selon votre conscience, quant à moi
je ne vous ai rien dit ».
À la tête de la moitié de sa compagnie, le
lieutenant Kheliff gagna un des points de regroupement, devant la préfecture.
« Il y avait là une section de l’ALN, des camions de l’ALN et des
colonnes de femmes, d’enfants et de vieillards européens dont je ne voyais pas
le bout. Plusieurs centaines, en colonnes par trois ou quatre, qui attendaient
là avant de se faire zigouiller » rapportera-t-il. Le lieutenant
Kheliff exigea et obtint du préfet, Souiyah El Houari, leur libération. S’étant
quelque peu éloigné de son détachement, il fut lui-même pris à partie et blessé
par des civils algériens, puis dégagé par ses hommes, à qui il interdit
d’ouvrir le feu. Après quoi, il établit des patrouilles sur les axes routiers
menant à l’aérodrome et au port pour « arracher littéralement »
des malheureux des mains de leurs agresseurs.
À la suite de cet acte héroïque, il fut mis
aux arrêts de rigueur, et convoqué par Katz qui lui adressa ces mots
terribles : « Si vous n'étiez pas arabe, je vous
casserais ! ».
La « victoire » acquise,
l’indépendance accordée à ses alliés, KATZ quitta Oran pour la Métropole le 13
août 1962, après avoir fait l’objet, le 4 août, d’une citation à l’ordre de
l’armée comportant l’attribution de la Croix de la Valeur Militaire avec palme
pour, entre autres, « avoir su rétablir et préserver avec force et
dignité l’autorité légale et l’ordre public »... décoration qui
lui sera remise par le Ministre des armées, Pierre Messmer. Une nouvelle étoile
vint également rappeler ses « bons et loyaux services ». De
Gaulle savait payer ses séides !…
Nommé fin 63 à la tête de la 4ème Région
Militaire (Bordeaux), il quitta le service armé début 1968 avec le grade de
général d’armée (5 étoiles).
Une plainte pour « complicité de crime contre
l’humanité et obéissance à des ordres criminels » fut
déposée le 16 octobre 1999 entre les mains du doyen des juges du Palais de
Justice de Paris au nom de 47 familles des victimes du massacre du 5 juillet à
Oran ainsi que du « Comité Véritas »(1). Cette plainte fut déclarée irrecevable mais suivie d’une
décision par le juge de non informer. Un appel de cette décision n’aura
pas de suite en raison du décès du « Boucher d’Oran » intervenu le
mardi 6 mars 2001 à Amélie-les-Bains (66). Rejeté par ses pairs, il finira ses
jours, seul, et sa famille choisira de l’inhumer au cimetière de ROSAS, en
Espagne.
José CASTANO
(1) - Depuis la « Jus
Resistendi » du Droit romain jusqu’à l’article 122-4 du Code Pénal
français actuel qui stipule : « N’est pas pénalement responsable la personne
qui accomplit un acte commandé par l’autorité légitime, sauf si cet acte
est manifestement illégal », il paraît probable que Joseph Katz,
aurait perdu le procès que VERITAS lui avait intenté car il avait, à
l’évidence, consenti à l’exécution d’un ordre criminel de de Gaulle consistant
en la consignation des troupes françaises en leurs casernements (22 000
hommes) alors que les Français d’Oran se
faisaient massacrer en grand nombre, le 5 juillet 1962.