Ils sont de plus en
plus nombreux, reconnaissables à leur profil européen dans les mosquées et dans
les rues. Frappés d’amnésie, ils ne se reconnaissent que dans le Coran et
tiennent la loi française pour illégitime. Certains basculent dans le
djihadisme, comme Jérémie Louis-Sidney, récemment tué par la police.
Désormais,
les frontières de l’État passent à l’intérieur des villes, avait lâché le maire
de Philadelphie, il y a presque un demi-siècle, après plusieurs nuits d’émeutes
dans sa ville. Il ne croyait pas si bien dire. S’il y a une catégorie de la
population qui lui donne raison, ce sont les convertis à l’islam. Amis ou
ennemis ? Pour les djihadistes, la réponse ne laisse planer aucun doute. Le
phénomène s’observe un peu partout : en France, au Royaume-Uni, en Belgique, en
Allemagne. C’est « une sorte de terrorisme domestique qui a germé dans notre
propre cour », selon les mots de Wolfgang Schäuble, aujourd’hui ministre des
Finances du gouvernement Merkel.
On
en a eu tout récemment une illustration avec Jérémie Louis-Sidney, Français
d’origine antillaise, délinquant de son état, converti à l’islam, soupçonné de
l’attaque à la grenade d’une épicerie juive de Sarcelles, dans le Val-d’Oise,
le 19 septembre dernier. Tué lors d’un échange de coups de feu avec la police
venue l’interpeller, il appartenait à un groupuscule djihadiste. Sur les douze
suspects interpellés, sept ont été déférés devant le parquet de Paris, dont
Jérémy Bailly, peut-être l'inspirateur du groupe, un Français de “souche”
converti. Tous se croyaient à Gaza-sur-Seine. La police les soupçonne d’avoir
voulu préparer une série d’attentats contre des cibles juives.
Petits
délinquants et convertis “autoradicalisés” à l’école du cyber-djihadisme, le
profil n’est pas nouveau, même si, comme le relève Mathieu Guidère, professeur
d’islamologie et auteur des Nouveaux Terroristes (Autrement, 2010), «
l’affaire Merah a fait sauter un verrou, celui du passage à l’acte ».
Louis-Sidney et les autres sont cependant loin de constituer des cas isolés. On
se souvient du braqueur Lionel Dumont, le “Gaulois d’Al-Qaïda”, membre du gang
de Roubaix et auteur d’une tentative d’attentat contre le G7 en 1996, ou de
Muriel Degauque, boulangère originaire de Charleroi, qui s’est fait exploser en
Irak, en 2005, au passage d’une patrouille américaine. Et que dire des deux
Français convertis impliqués dans la vague d’attentats de 1995, Joseph Jaime
(alias Youssef) et David Vallat (alias Rachid), qui s’étaient rencontrés en
Afghanistan, où ils se préparaient à la guerre sainte. Ils dirigeaient le
réseau Chasse-sur-Rhône (Isère) en charge de la logistique. Au dernier moment,
ils prirent peur. Le Groupe islamique armé algérien (GIA) recruta alors une
autre équipe dans une cité voisine, à Vaulx-en-Velin. C’est là qu’intervient
Khaled Kelkal, délinquant “réislamisé” en prison. Rappelons également qu’au
temps de Ben Laden, Al-Qaïda était l’organisation islamique qui comptait le
plus de convertis (10 à 20 %). On dénombre désormais, parmi ces djihadistes, de
plus en plus de femmes converties (10 % des effectifs, selon Mathieu Guidère).
À
la suite des attentats du 7 juillet 2005 en Grande-Bretagne (qui impliquèrent
quatre kamikazes, dont un converti d’origine jamaïquaine), les Renseignements
généraux français avaient isolé un échantillon de 1 610 convertis repérés par
la police comme prosélytes et impliqués dans des faits de délinquance. Plus de
50 % d’entre eux appartenaient à la mouvance fondamentaliste et 4 % s’étaient
convertis en prison, où l’islam est majoritaire, au dire de Farhad
Khosrokhavar, auteur de l’Islam dans les prisons (Balland, 2004), – «
entre 50 et 80 % dans les établissements proches des quartiers sensibles ».
À
cet égard, on peut parler d’islam carcéral, “voyoucratie” adossée à une force
pluriséculaire, le Coran, dont l’affaire Halimi – du nom de ce garçon enlevé,
séquestré et torturé trois semaines durant par le “gang des barbares”, dirigé
par Youssouf Fofana, petit caïd d’origine ivoirienne, emmuré dans sa folie
antisémite, à moitié bègue, rongé par le ressentiment, en proie à une haine
généralisée – a révélé l’étendue sous une forme pathologique.
Dans Tout,
tout de suite (Fayard, 2011), un livre brut de décoffrage consacré à
l’affaire, le romancier Morgan Sportès s’est dit « effaré » lorsqu’il a
découvert « que sur les vingt-sept personnes impliquées [toutes
musulmanes], huit [s’étaient] converties à l’islam, simplement parce
que l’islam était la religion de leurs copains ». Sportès ajoute que certains
protagonistes, prédateurs sans envergure prêts à se damner pour une paire de
Nike ou un lecteur MP3, écrasaient dans la journée leur cigarette sur Ilan
Halimi tout en expliquant le soir à leurs amis que l’islam est « une
religion de charité » ! Les spécialistes évoquent un “islamo-banditisme”, il
serait plus juste de parler de “charia de la caillera”.
Jusqu’aux
années 1980, les conversions concernaient une élite en quête de spiritualité ou
d’orientalisme, dont René Guénon et le chorégraphe Maurice Béjart demeurent les
modèles. Le choix de l’islam passait souvent par le chemin escarpé du soufisme,
forme mystique de l’islam. Au surplus, les conversions étaient individuelles.
Désormais,
elles acquièrent une dimension collective, comme au temps du Bas-Empire, quand
les peuples vaincus épousaient la religion du vainqueur. C’est visible dans les
banlieues, où une jeunesse sans repère embrasse la foi islamique pour se
conformer au modèle dominant.
«
Épouser l’islam, note l’un des meilleurs connaisseurs du sujet, Samir
Amghar, devient un moyen d’éviter la relégation, liée à son origine
française, tout en acquérant des formes de prestiges symboliques : une
respectabilité et une notabilité sociale fondée sur l’islam. » Selon le
même Samir Amghar, « 25 à 30 % des effectifs salafistes [en France] sont
d’origine franco-française et environ un sur dix chez les Ahbashs [courant
néo-soufi originaire du Liban], prioritairement des jeunes d’origine
antillaise et d’Afrique centrale ».
L’ALLIANCE DU
CONSUMÉRISME ET DU RITUALISME
Désormais,
les conversions passent moins souvent par le Tabligh, mouvement piétiste à
forte coloration sectaire qui a participé activement à la réislamisation des
deuxième et troisième générations issues de l’immigration. Ce sont les
salafistes, en phase avec ce que le sociologue Patrick Haenni a appelé «
l’islam de marché », qui ont le vent en poupe. D’essence wahhabite, la branche
la plus fondamentaliste de l’islam, ils vivent repliés du monde extérieur perçu
comme impie et prêchent un littéralisme étriqué, tout en mêlant consumérisme
effréné et ultraconservatisme, réislamisation du champ politique et
américanisation de la société civile, nourriture halal et fast-food.
L’autre
grand pourvoyeur de recrues pour un islam prosélyte et missionnaire, est le
mariage mixte. Interdiction pour une musulmane d’épouser un non-musulman (il en
va différemment pour les hommes, mais dans tous les cas, les enfants seront
musulmans). On dira que ce sont là des conversions de confort. Leur
quasi-automaticité n’en constitue pas moins autant de renforts pour la religion
de Mahomet.
Se
convertir, c’est souvent s’éloigner de ses proches, sinon même devenir un
étranger, parfois un ennemi, que les parents ne reconnaissent plus. Les barbes
poussent, les tranches de jambon restent dans l’assiette, les voiles masquent
les visages. C’est un phénomène d’assimilation à l’envers doublé d’un rejet
violent de la culture d’origine. Il n’est du reste pas rare que les convertis
parlent des “céfrancs” comme s’il s’agissait d’étrangers.
L’exemple
de Ribéry est à cet égard édifiant, lui qui met autant d’énergie à ne pas
chanter la Marseillaise qu’à faire sa prière publiquement. Ainsi les anciennes
appartenances sont-elles rejetées au profit des nouvelles allégeances, sans
aucun recul critique. C’est qu’il y a une faille psychologique chez les
convertis, qui n’est jamais abordée dans une société laïque où prévaut le libre
choix confessionnel : la question du parjure, ce qu’on appelait naguère les
“renégats”. Elle conduit souvent les néomusulmans à en rajouter pour (se)
prouver qu’ils sont bien des “born again” et ne pas avoir à interroger la part
d’eux-mêmes qu’ils ont abandonnée.
Le
prix Nobel de littérature, sir V. S. Naipaul, qui a beaucoup enquêté sur
l’islam dans les pays non arabes (Malaisie, Pakistan, Indonésie), faisait remarquer
que l’islam, partout où il s’est implanté, à l’exception notable de l’Iran, a
produit un phénomène d’acculturation foudroyant, effaçant les traces du très
riche passé préislamique. Les populations, observe-t-il, sont frappées
d’amnésie. Et de fait, dans la culture musulmane, le passé préislamique est
renvoyé dans le monde de la jahiliya, l’“ignorance”.
Or
aujourd’hui, dans un contexte religieux déterritorialisé et déculturé,
l’ignorance est un atout redoutable, ou plutôt « la sainte ignorance »analysée
par Olivier Roy (notre entretien page 16). Elle est la pièce maîtresse du
salafisme, suppléé par la schizophrénie de ses adeptes, qui conjuguent
cyber-modernité et mythification d’un passé arabe reconstruit de toutes pièces
par les chaînes satellitaires du Golfe et l’“islamosphère”.
À
les voir s’habiller à la saoudienne, on ne peut s’empêcher de penser que les
salafistes se livrent à une surenchère religieuse pour masquer la précarité de
leur islamité. Que dire alors des convertis européens, parmi lesquels ces
marionnettes au regard vide que sont les djihadistes, qui ajoutent à la
précarité de leur condition la facticité d’une arabité désespérément
revendiquée ? Comment ne pas voir en eux des pièces rapportées qui n’ont de
raison d’être que dans la mesure où l’Europe n’a rien à leur opposer, sinon sa
propre amnésie historique et son refus d’assumer ses fondations chrétiennes
?
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