Combattant salafiste
venu des rangs d'Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi), Oumar Ould Hamaha,
qui s'autoproclame "chargé de sécurité pour le djihad au Nord-Mali" a
accordé, par téléphone, une interview exclusive à L'Express.
Au-delà
du discours de propagande, de la justification des châtiments corporels
infligés aux civils et des menaces proférées contre les otages français, François
Hollande et l'Occident, les propos du "barbu rouge" sont
révélateurs. Les djihadistes qui occupent les deux tiers nord du Mali se
disent prêts à mourir pour imposer la charia sur tous les territoires qui
seraient sous leur contrôle.
Vous
avez déclaré que, en soutenant une intervention militaire pour reconquérir le
nord du Mali, François Hollande signait l'arrêt de mort des six otages
français détenus par les groupes djihadistes. Confirmez-vous ces propos?
Bien
sûr. François Hollande met de l'huile sur le feu. Il doit cesser et on le lui a
fait savoir. Mais il refuse, en s'obstinant à demander la libération des
otages. En l'écoutant, je me demande si ce sont là les propos d'un chef d'État
censé ou d'un simple homme de la rue: comment espère-t-il les sauver? À
supposer qu'ils aient le couteau sous la gorge, ce que je comprends de son
discours, c'est : "Débarrassez-nous au plus vite de ces otages."
Sinon, il n'engagerait pas son pays dans une guerre dont il ignore l'issue. Il
semble oublier que beaucoup d'intérêts français [gisements d'uranium,
hydrocarbures, NDLR] sont situés dans des zones que nous contrôlons. Nous avons
le pouvoir de déstabiliser le quai d'Orsay et de nous débarrasser de François
Hollande ou des personnes qui lui sont les plus proches: nous y travaillons
chaque jour. Nous disposons d'éléments partout dans le monde, mobilisés dans
cette traque.
Vous
confirmez que les otages sont encore vivants?
Oui,
ils sont vivants, mais jusque quand? Les jours à venir vont tout dévoiler.
Quel est
le but de votre combat?
Ce
que nous voulons, c'est instaurer la charia. Pas plus. Nous ne nous référons à
aucun autre modèle que celui de l'islam, qui existe depuis plus de 1400 ans.
Nous suivons le message du Prophète. Je suis né en 1963. Cela fait plus de
vingt ans que je prêche. J'ai visité plus de vingt pays. J'ai passé 40 jours en
France, à la fin de l'année 2000, avec un visa Schengen. J'ai prêché à la
mosquée de Saint-Denis, à Meaux, à Melun... J'ai voyagé au Pakistan, en Inde,
en Tunisie, au Maroc, en Algérie, en Libye, en Éthiopie, au Tchad, au Nigéria,
au Ghana, au Togo, au Bénin, en Côté d'Ivoire, au Sénégal, au Niger, au Burkina
Faso, en Guinée Conakry, en Gambie, en Mauritanie! Depuis plus de 12 ans, je
suis engagé dans le djihad. Le djihad, c'est une obligation divine. Toute
personne est tenue de s'y soumettre, les invalides et les malades mis à part.
Quel est
l'état de vos relations avec les habitants des villes occupées par votre
mouvement?
Depuis
qu'on est au Nord, l'intégration se passe bien. Nous sommes là pour convaincre
les gens. On ne sème pas la terreur, c'est faux: on propage le message. La destruction
des mausolées [ceux des saints protecteurs de Tombouctou, NDLR] s'explique
ainsi: les gens les vénéraient comme s'il s'agissait de divinités. Cela les
éloigne de Dieu.
Des
Pakistanais, des Égyptiens, des Maliens luttent depuis des années à vos côtés.
Quelles sont les conditions pour rejoindre vos rangs?
La
porte est ouverte à tous les combattants, pourvu qu'ils aient plus de 18 ans,
qu'ils soient en bonne santé, qu'ils soient intelligents, dynamiques, et
surtout, pourvus d'un grand sens de l'engagement. Pas plus. Nous accueillons
les jeunes des milices d'autodéfense [opposés à la présence des
djihadistes, NDLR], pourvu qu'ils se repentent et s'engagent, au nom de Dieu.
Vous
imposez la charia dans une zone à majorité musulmane. N'est-ce pas
contradictoire?
C'est
la réalisation d'une injonction divine. Les gens ne pensent qu'au matériel,
nous avons le devoir de corriger cela. Tout homme commet des péchés mais doit
se repentir jusqu'au jour de sa mort. Un mauvais musulman n'acceptera jamais
qu'on lui coupe la main. Ceux qui sont esclaves de leurs passions, de leur
débauche, ne tolèreront pas cela. Mais les personnes de valeur acceptent et se
tournent vers Dieu.
L'islam
ne demande pas de tuer...
L'islam
interdit de prendre des vies humaines et, certes, l'homme est faible de nature.
Mais il doit se soumettre à son Prophète. Pour tuer, il faut une cause: si des
gens s'opposent à l'instauration de la charia, il faut les mettre de côté, à
n'importe quel prix. S'ils acceptent, pas de problème, à condition qu'ils
soient musulmans. On nous demande toujours pourquoi on ne descend pas au Sud:
on se contente de pratiquer au Nord où l'on met en place la sécurité, la
bienfaisance, l'équité, qui sont les valeurs de l'islam. On détient trois
régions, c'est bien suffisant. On y épaule, oriente, aide les habitants. On ne
demande même pas à changer d'administration. Mais les autorités refusent, elles
s'obstinent à prôner un Mali laïc au lieu de se soumettre à Allah. La liberté
de culte prônée par le Mali, c'est hors de question. Alors, la seule solution,
c'est le combat et le sabre.
L'Union
européenne, la Communauté économique des États d’Afrique de l'Ouest, l'ONU et
l'Union africaine se sont réunies le 19 octobre pour réfléchir à une sortie de
crise au Nord-Mali. Une intervention armée semble inéluctable.
Qu'avez-vous à en dire?
Ces
réunions, cela importe peu pour moi. C'est du tralala. Comme on dit, "le
chien aboie, la caravane passe!" Cela ne change rien à notre engagement.
Nous n'avons pas peur de mourir. Ces pourparlers m'indiffèrent. Je suis occupé
à d'autres affaires, sur le terrain. Nous sommes en mouvement permanent, à
guider nos renforts déployés partout afin de sécuriser les frontières
algérienne, mauritanienne, burkinabée et nigérienne.
Des
islamistes se sont dit "prêts à négocier". Quelles seraient les
conditions de cette négociation?
Négocier?
Aucun problème, pourvu que l'on se soumette à la charia, la loi divine. On peut
négocier avec le monde entier, même avec Obama s'il se plie à la charia!
Cela semble
plutôt irréaliste.
Non.
Tout dépend de la volonté de Dieu.
Différentes
sources rapportent qu'Aqmi est essentiellement financée par le trafic de
drogue…
C'est
absolument faux. Nous sommes contre le trafic de drogue. C'est vous qui
financez le djihad! Dix-sept pays européens paient des rançons pour qu'on
laisse leurs ressortissants en paix. La France nous donne 40 millions par an
(sic). Nous sommes très riches! Un proverbe dit "Coupez-lui les lèvres et faites-lui
manger": les rançons données par la France seront utilisées contre elle.
Nous ne sommes pas contre les Français, ni personne: pour preuve, nous comptons
des centaines, voire des milliers de Français dans nos rangs. Mais nous
sommes contre la politique menée par la France. Ceux qui supportent la
politique de leur gouvernement doivent payer. Nous disposons d'éléments
partout, mobilisés dans cette traque. Nous les visons partout, comme un
chasseur guette son gibier. Qui vivra verra.
DÉCRYPTAGE
DE L'INTERVIEW
Les propos recueillis
lors de cet interview sont édifiants, mais à considérer avec le recul
nécessaire.
Combattant
venu d'Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi), Oumar Ould Hamaha, qui se
présente comme le "chargé de sécurité pour le djihad au Nord-Mali" a
accordé cet entretien exclusif à L'Express. Interview recueillie au
téléphone par Dorothée Thienot, depuis le sud du pays, car il est quasiment
impossible pour un journaliste occidental d'aller à la rencontre de l'un des
chefs islamistes armés sans risquer de se faire enlever. Le business des otages
est, avec le contrôle des routes transsahariennes du trafic de drogue et
d'armes, l'un des principaux revenus des djihadistes au Sahel.
Autre
avertissement nécessaire: tout n'est pas à prendre pour argent comptant dans les
propos d'Oumar le "barbu rouge", terroriste caméléon à la croisée des
différents groupes armés de la région: Aqmi, Ansar ed-Dine, Mouvement
pour l'unicité et le djihad en Afrique de l'Ouest (Mujao)... Car, au-delà de la
propagande et des menaces de mort proférées contre les otages français, François
Hollande et l'Occident en général, l'islamiste malien assène des
affirmations mensongères ou extravagantes. Non, "l'intégration" des
groupes armés dans les villes du Nord ne se passe pas "bien": les djihadistes
sèment la terreur, pillent, violent, tuent ou infligent des châtiments
corporels terrifiants -flagellation, amputation, lapidation- à tous ceux
qui ne se soumettent pas à leur vision archaïque de l'islam. Non, Ould Hamaha
n'a pas la capacité de se "débarrasser de François Hollande et de toutes
les personnes qui lui sont proches" (sic). Les combattants enrôlés dans
les milices islamistes n'ont pas tous "plus de 18 ans": de nombreux
enfants soldats sont achetés à des familles miséreuses, pour 450 euros, avant
d'être endoctrinés. Enfin, il n'est pas crédible d'affirmer, comme le fait Ould
Hamaha, que des "centaines, voire des milliers de Français sont dans
[leurs] rangs" ou que la France leur verserait "40 millions
d'euros" annuels de rançon.
En
dépit de ces incohérences, l'interview du chef djihadiste est éloquente. Elle
rappelle que les groupes armés qui occupent les deux tiers du Mali sont déterminés
à imposer coûte que coûte la charia sur les territoires qu'ils occupent. Et
que, face à une future intervention militaire internationale, les plus aguerris
d'entre eux sont prêts à mourir en "martyrs". Lugubre.
L’Express
(posté par André)