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a loi sur le mariage pour tous est promulguée, la manif du 26 mai est passée… Et maintenant ?
Et maintenant, tout commence. Car, bien sûr, cette dernière manif n’était pas une fin mais un acte fondateur, qui sera sans doute dans l’histoire de notre pays comme le point de départ d’une reconfiguration du combat politique et culturel. Un premier coup de piolet ouvrant une brèche irréversible dans un mur de Berlin que l’on croyait, comme l’autre en son temps, imprenable.¢
Le gouvernement tablait sur l’essoufflement. Ce public de « classes moyennes plutôt éduquées » (sic) – pour reprendre les termes de je ne sais quel quotidien -, attachées aux valeurs de réussite sociale, de famille et de confort bourgeois, peu portées sur la contestation déclarerait forfait, surtout un jour de fête des mères, en période de communions et d’examens. C’est tout le contraire qui s’est passé. Évidemment. Car avec la Manif pour tous, ce public-là a fait son coming out. Désinhibé, décomplexé, il n’a plus honte de ce qu’il est, il assume ses valeurs, ne se laisse plus intimider ni railler ; autant dire qu’il est inutile de compter sur lui pour retourner dans son placard.
Il a surtout compris qu’il constituait une force de frappe. Sereine, pacifique, mais force de frappe quand même. Ces sept mois de Manif pour tous lui ont permis de se compter, de s’identifier, de s’organiser en réseaux distincts et autonomes (sans réel leader : ce qui pourrait passer pour une faiblesse est en fait une garantie de liberté), de mettre à bas aussi, par des rencontres sur le terrain et une connivence dans l’adversité, certains préjugés et clivages dépassés. En le confrontant au parti pris idéologique d’une certaine presse, ces sept mois l’ont enjoint à chercher l’information ailleurs, dans des médias alternatifs qui, du Salon beige à Boulevard Voltaire en passant par bien d’autres encore, relaient ce qui est occulté et tissent le lien entre les foyers de résistance. Une force de frappe, donc, qui grâce à la Manif pour tous s’est mise en ordre de bataille et qui ne s’en laissera plus conter.
Ludovine de La Rochère, présidente de la Manif pour tous, l’a prédit dimanche : « Nous participerons activement à la vie de la cité avec nos convictions et nos valeurs. »
Sur le terrain électoral, par exemple.
C’est la rue qui a été la locomotive du mouvement, les partis traditionnels n’ont fait que courir derrière le train pour tenter de le rattraper. La rue a donc pris la main. Comme une femme trop longtemps bafouée qui relève la tête, une partie de l’électorat dit « conservateur » a ainsi compris que continuer de voter pour une droite qui violente ses valeurs au seul motif qu’elle serait« moins pire quand même » que la gauche n’est plus une fatalité. Le rapport de forces s’est inversé, cet électorat n’est plus captif, a pris confiance en lui, et mettra ses hommes politiques face à leurs incohérences qu’elle sanctionnera, s’il le faut, dans les urnes. NKM sera-t-elle la première à en faire les frais ?
Valls parlait d’interdire le Printemps français. Mais sera-ce suffisant pour en arrêter l’éclosion ? Le gouvernement ne voit-il donc pas la détermination joyeuse des jeunes pousses de cette « génération Manif pour tous », comme l’appelle Le Figaro, qui fleurit en ce mois de mai comme pâquerettes sur la pelouse des Invalides, et qui est en train — allez, disons-le, c’est le propre de la jeunesse — de prendre goût à cette jacquerie tout à la fois profonde et facétieuse (« Si t’es un flic en civil, tape dans tes mains ! », entendait-on chanter gaiement hier soir entre chien et loup au milieu des gaz lacrymogènes) ?
Et ne regrette-t-il pas d’un coup d’avoir, depuis sept mois, par son implacable et sourd mépris, scrupuleusement labouré, semé, arrosé, couvert d’engrais ce terreau dans lequel la résistance a durablement pris racine ?¢
Gabrielle Cluzel pour Boulevard Voltaire